Père Henri Le Saux (1910-1973)
Le Père Le Saux est breton d'origine,,..
Il est né à Saint- Briac un petit village d'Ille et Vilaine dans une famille de 8 enfants...
Il fait des études brillantes au Petit puis au Grand Séminaire de Rennes...
on lui propose de continuer à étudier la Théologie à Rome...mais il préfère devenir moine à l'Abbaye Bénédictine de Kergonan où il entre à 19 ans et est ordonné en 1935...
Il se passionne alors pour la liturgie et le chant grégorien...
Très tôt il s'intéresse à la spiritualité de l'Inde...notamment au travers d'un article de revue qui le met au courant de l'oeuvre de l'abbé Montchanin... prêtre du diocèse de Lyon qui a fondé en Inde un" ashram "dont le but est de mieux incarner le message chrétien dans les modes de vie, de prières et de contemplations propres à la civilisation indienne...
Il va donc... avec l'autorisation de sa hiérarchie ...apprendre le Tamoul, se perfectionner en anglais, correspondre avec des personnalités religieuses vivant en Inde...et préparer ainsi l'accomplissement de son souhait le plus profond..." collaborer à l'établissement d'une vie monastique chrétienne bénédictine " dans ce pays...
Il débarque dans ce pays le 15 août 1948...
... et avec Jules Montchanin il fonde l'ashram du Shantivanam aux environs de Tiruchirapali...
Les deux prêtres commencent à adapter la liturgie...à vivre à l'indienne en portant la robe des moines sannyâsa ( moines errants) et en prenant même des noms indiens...ainsi le Père Le Saux sera -t-il désormais appelé Swami Abhishikteshvarânanda qui sera abrégé plus tard en Abhishiktânanda " Félicité de l'Oint"...
Prise de contact
Henri Le Saux va approfondir progressivement son intériorité...
Il ressent avec de plus en plus de certitude que le plus souvent une partie de l'être n'est pas concernée par la prière officielle de l'Eglise...
or cette partie de l'être non atteinte est la plus divine...donc la plus fondamentale...
la seule finalement essentielle...
Trop souvent nombre de chrétiens réduisent le christianisme à une morale, à une pratique extérieure, à une croyance au seul niveau intellectuel ...qui n'engage pas l'être dans sa totalité...
alors le fond, le Vrai, risque ainsi de ne pas être découvert...
Pour Henri Le Saux la rencontre avec deux sages: Ramana Maharshi et Gnânânanda sera décisive...
Ce fut le père Montchanin qui le conduisit auprès de Maharshi six mois après son arrivé en Inde ...
Après le repas pris avec le Sage... puis le soir lors de la récitation des chants védiques il fut séduit par la Psalmodie... et capable alors de saisir l'"auréole intime "qui émanait du sage...tandis que des harmonies inconnues s'éveillaient dans son coeur"...
A toutes les questions le Sage ne faissait que répéter inlassablement: "...il n'y a qu'une chose à faire...regardez au fond de vous ...et si vous le faites comme il faut ...vous trouverez la réponse à vos problèmes..."
Plus tard ce fut sur les conseils du Sage la découverte d'Arunâchala...la montagne de lumière !... à 150km au SW de Madras..
ses grottes...le mystère de cette montagne dénudée dédiée à Shiva l'inviteront à de multiples retraites...à une redécouverte de la Nature...et de la voie de l'ascèse..
il finira par s'y installer pour de longs séjours...entrecoupés de voyages et de conférences...
" Ô mon Aimé, pourquoi T'esTu caché sous les traits de Shiva et d'Arunâchala...de Ramana le Rishi...pour me donner Ta Grâce...
Est-ce là Ton jeu divin?
Tu prends toutes les formes
et Tu te Te joues de nous
car Tu veux qu'on Te cherche...
au-delà de toutes formes !
Car il n'est pas de forme au monde qui ne soit Tienne
qui ne Te cache à l'ignorant
et qui ne Te révèle à celui qui sait !"
Souvent Henri Le Saux comparera Arunâchala à une aurore: " les oiseaux chantent déjà et mon coeur déjà chante...d'attendre avec joie l'apparition du disque merveilleux"
Ainsi la montagne deviendra son gourou et l'initiera de l'intérieur...
" Arunachala, guru impitoyable
qui me sevras de tout
ce que j'aimais jusque là
de tout
ce que je savourais jusque-là
de tout
sur quoi je m'appuyais jusque-là
les choses de ce monde
comme les choses de l'autre
et me laissais suspendu
libre et nu
dans l'esseulement du Kévala ( nudité de l'acte d'être)
en plein milieu du gouffre
au sein du fond
Ton coeur, ô Arunâchala !"
il écrira dans son journal intime:
" J'étais venu en Inde pour Te faire connaître à mes frères hindous, et c'est Toi Jésus qui T'es fait connaître à moi ici par leur entremise, sous les traits boulversants d'Arunâchala !"
Gnânânanda
Plus tard quand il se rend à l'ashran de Gnânânanda il a déjà reçu la " grâce de l'Inde" ..il est devenu conscient des conditionnements qu'il porte et se manifestent dans l'hérédité, la culture, le langage...et même dans les "noeuds du coeur"
Gnânânanda est un sage du pays Tamoul...la rencontre est fulgurante...cet " homme aux jambes courtes et à la barbe hirsute, vaguement couvert d'un pagne" se révèle à lui comme le prototype du guru...
Rencontre décisive dans la vie d'un homme... rencontre au delà des sphères des sens et du mental...rencontre dans la fine pointe de l'âme...
"Ce que dit le guru jaillit du coeur même du disciple ce n'est pas un autre qui parle...ce n'est pas l'accueil en esprit de pensées qui viendraient d'ailleurs et seraient transmises par le truchement des sens...
Quand les vibrations de la voix du Maître parviennent à l'oreille du disciple, quand son regard perce le sien... c'est du dedans même de soi... de l'espace enfin découvert de son propre coeur qu'éclosent les pensées qui se révèlent à lui même..
Qu'importent alors les mots dont use le guru...toute leur puissance est en leur résonnance intérieure...
en le voyant et en l'entendant c'est l'épiphanie de soi que l'on atteint,...en ce fond de soi où chacun aspire essentiellement même quand il l'ignore...
Le vrai guru est au dedans...
celui qui sans bruit de mots fait entendre à l'âme attentive le : "Tu es cela... TAT-VAM-ASI... des Rishis védiques...
" alors le disciple peut dire au Maître:
Tu nous as fait passer sur l'autre rive
au-delà du non savoir..."
De cette rencontre bouleversante date la détermination du moine bénédictin d'expérimenter par lui même l'advaïta ( la non dualité)...
il décide alors d'aller passer de longues périodes de Silence et de Solitude au désert... en fait dans une grotte d'Arunâchala demeurée libre à la suite de la mort d'un vieux sâddhu...
Son journal rend compte de sa plongée dans le silence, la solitude ,et la pauvreté jusque là pratiquées en dilettante...
Sa sensibilité devant la nature va alors s'exacerber...
Il aime a chanter les psaumes ou les hymnes au crépuscules ou au lever de l'astre divin...
peu à peu son besoin de chanter s'efface au profit d'un recueillement plus dense qui lui permet de découvrir "l'hymne intime du silence...celui qui soutend tout chant que chantent les hommes, tout chant que chante la création... l'hymne essentiel que nul chant que profèrent les lèvres n'arrivera jamais à formuler..."
Plusieurs visiteurs viennent le rencontrer dans ses moments les plus désespérés..
.et comme il s'en étonne ...on lui répondra que le Soi appelle le Soi...
le hasard n'existe pas...et quand l'âme appelle...une autre est là qui entend...
Tel est ce disciple da Maharshi :Harilal ,qui viendra le pousser à un dépouillement encore plus grand encore...
et visitant sa grotte et les livres qui y sont encore il lui dit:
"- A quoi bon tout cela ?
ces livres,...tout ce temps perdu à apprendre les langues...
en quelle langue s'entretient-on avec l'âtman ?...
Maintenant je ne lis plus ou si peu que c'est tout comme...Pas même la Gîta dont les versets me chantaient constamment dans le coeur...
Pas d'avantage je médite...l'âtman n'a rien à voir avec la méditation...
ni avec la Japa ( la répétition du nom de Dieu)
ni avec les Mantras ( litanies) ...et autres prières...
tout cela on les pratique quand on est encore enfant...on en a besoin alors...
mais tout celà est un jeu...
le jeu de la lilâ ( jeu divin)...
Cessez vos prières...cessez vos rites,...cessez vos contemplations sur ceci ou cela...
réalisez seulement que vous êtes...TAT TVAM ASI...Tu es Cela.!..
Il n'y a nulle part de différence !..
il n'y a que l'âtman...
Dieu est l'âtman...Le Soi de tout ce qui est...
le Soi seul existe...."
Ecartèlement...
Mais Le Saux demeure viscéralement chrétien en ses racines...sa formation est celle d'un occidental...il devra souffrir ce constant écartèlement...
Il en sera de même pour le père Montchanin parti en Inde pour se faire hindou parmi les hindous...martelant son corps...burinant son esprit sous les meules du sanskrit, du Tamoul, du Vedanta...
tout cela pour se découvrir... et s'avouer plus grec que jamais...
fin de ce qui fût pour lui une illusion...
il s'interdira alors d'écrire et de publier...
Henri Le Saux lui était venu apporter un enseignement...c'est lui qui reçoit une Connaissance Nouvelle...
Dès 1957 il est seul...
le Père Montchanin est parti rejoindre le Père
lui poursuit sa route et se fait citoyen indien en 1960
Il poursuit sa démarche...publications...retraites... voyages...conférences... c'est un ermite mondain... mais seulement de l'extérieur ...
car l'intérieur est profondément souffrance...
son journal en est seul le témoin...mais c'est une vrai nuit de la foi qu'il traverse et l'âme crie douloureusement vers le Dieu absent...
" Qui fera alors comprendre que cette absence est une entrée plus profonde et plus réelle en la Présence...la Présence de Soi à soi...qui est l'Être même de Dieu... qui Est " l'Être de l'être ?"...
"S'arrêter alors... incapable de nommer, incapable de dire un ni deux...
philosopher alors en shivaïtre shankarien ou en chrétien augustinien c'est faux...
tout celà se passe au niveau réel...au niveau de l'intelligence..."
" ...et si dans l'advaïta c'était moi seul que je trouvais et non Dieu ?...et pourtant ce n'est que depuis la découverte personnelle de l'Advaïta que j'ai retrouvé Paix et Joie de vivre...
J'ai trop goûté désormais de l'advaïta pour pouvoir retrouver la Paix "grégorienne" d'un moine chrétien...j'ai trop goûté de cette paix "grégorienne" pour ne pas être angoissé au sein de mon advaïta"...
il vivra douloureusement le grand écart...
Pourtant il le ressent de plus en plus c'est au delà des schèmes...au delà des structures qu'il faut poursuivre...
" L'Eglise dans son état actuel correspond à un niveau de conscience donné...tout ce qu'elle dit est vrai...merveilleusement vrai...son seul tort est donner une valeur absolue aux termes de gnose et d'histoire en lesquels on cherche à exprimer le Mystère du Christ"
" Le Christ lui même invite à dépasser le plan de tous les archétypes, ceux de la conscience et ceux du cosmos...
Il faut que je m'en aille...il faut que je disparaisse...il le faut à cause de vous à qui ma Présence devient un obstacle..."
Ainsi l'apport des religions est-elle de servir d'introduction... de points de départ de cheminements..
" Heureux peut-être ceux que la caverne satisfait...Mais ceux qu'une angoisse infinie fait se retourner pour voir...ne demeurent-ils point aveugles au soleil qui éblouit ?...
il importe de dépasser la caverne...d'aller plus loin avec une Eglise transfigurée par l'Esprit..." l'enfant a été arraché à la femme et élevé jusqu'au ciel et au trône de dieu..."
Peu à peu il découvre Dieu au fond de lui: " Dieu est au fond de moi et Dieu est le fond de moi; Plus fond que mon propre fond, plus essentiellement à la source de ma pensée que tout ce que je pourrais penser, la source même de ma pensée...et quand je rentre en Dieu tantôt je trouve Dieu...tantôt je trouve moi... moi devant Dieu, Dieu devant moi,... moi passé à Dieu , ou bien Dieu passé à moi....
Qui résoudra l'antinomie suprême des esprits qui demeurent au plan de la pensée ?
Et pour celui qui au delà de la pensée aura éprouvé l'expérience divine quels mots pourrait-il employer qui ne trahisssent l'expérience essentielle ?"
l'idolatrie peut donner bonne conscience...mais c'est au delà de l'idolâtrie que se situe le rapport avec le Dieu Créateur...l'atteinte du fond exige de tout donner !
" Se résigner à se taire devant Dieu, à ne pas lui parler, à ne pas le prier, à ne pas le louer, à ne pas l'adorer ...
afin de supprimer de sa prière, de sa louange et de son adoration ,la projection
empuantée de soi...
Dieu est pur kevala ( indifférencié) ...le silence seul le loue;...
le silence qui n'est même plus un regard ...mais l'absolu sunyata (vacuité)
Panthéisme crieront les chrétiens aveugles !
advaïta suggèrent respectuesement les voyants...
Toute altérité s'est évanouïe
Pur Mystère
L'erreur serait de tenter d'ériger un sanctuaire au dedans, de vouloir y installer un tabernacle d'y offrir fleur , feu et encens
tout cela est encore de l'idolâtrie...
L'engouffrement exige de tout donner, de tout offrir... et aussi de tout perdre...
pour tout gagner...
en un mot d'être entièrement démuni, pauvre et nu
La perte doit être sans retour... sans rétention de la moindre corde que ce soit quand on se laisse ainsi glisser dans l'abîme...
tant que l'on est pas rentré dans cette source au dedans de soi d'où naît l'altérité elle même, on a rien compris à Dieu...
, on adore seulement l'idole qu'on s'en est faite"
" Quand l'homme a pu saisir ce dedans, ce fond sans fond, toute conception, pensée, réflexion se retirent...le Moi aussi s'éclipse...
comment aurais-je le droit de dire moi, moi ?
Je ne peut dire Moi sans T'affirmer Toi, la source de mon Moi...Toi seul peut dire Moi !"
" le fond coïncide avec le dedans...à mesure qu'on s'y engouffre le fond recule...on croyait pouvoir l'atteindre...on pensait même avoir la révélation de son abîme...soudain on s'aperçoit qu'il est impossible de l'étreindre...on ne saurait le toucher.
Celui qui pénètre dans ce dedans pense tout d'abord qu'il est comparable à un fruit que l'on pèle, dont on savoure la pulpe, dont on brise le noyau, dont l'on extrait le pépin et dont à l'intérieur de ce pépin l'on découvre le germe irréductible...
Et à mesure qu'on enlève les pelures, des successives pelures apparaissent, toujours plus subtiles, toujours plus adhérentes, c'est l'oignon.
Et le Voyant lui crie: Ne t'arrête pas, ennlève chaque peau, pénètre plus avant, plonge en cet océan qui te semble sans fond,... ce n'est qu'en y sombrant que tu le découvriras, ce fond de l'océan et l'océan lui-même...et toi même l'océan.
Car le dedans une fois atteint, il n'est plus de dedans...
car le fond une fois atteint il n'est plus de gouffre dont quiconque peut dire qu'il en est le fond....
et de grotte en grotte au sein de la montagne...
la grotte la plus intérieure n'est jamais atteinte que la montagne ne soit évanouïe
Le dedans, de qui le dedans serait-il? S'il était le dedans de quelque chose serait-il le Suprême ? L'Être sans nom ?
Ainsi aucune rencontre de dieu n'est possible s'en s'être préalablement rencontré
Qui ne s'est pas rencontré soi-même comment pourrait-il rencontrer Dieu ?
On ne se rencontre pas indépendament de Dieu.
On ne rencontre pas Dieu indépendament de soi
Tant que l'on ne s'est pas rencontré soi même, dans sa nudité du dedans, plus crue encore que sa nudité du dehors, on vit dans le monde de sa fabrication, de son imagination, de son "mind,"
"Soi", le monde et Dieu c'est le monde que l'on rêve et non pas la Réalité"
" retrouver au centre de soi le source de soi
Retrouver en la source de soi le Soi en sa source
Retrouver la source en soi du Soi en sa source...
La grâce c'est le renversement de mâyâ en shakti
de puissance d'extase en puissance d'enstase"
"Il ne s'agit nullement d'aller au devant d'un complément de soi, mais de se découvrir soi, de se rencontrer soi.
Pour le sage hindou la voie vers le salut est au dedans en un sens que ne peut comprendre l'occidental qui toujours rêvera d'un tabernacle intérieur, d'un noyau infissable ou demeure distant de lui le Suprême...
Ce fond de l'âme n'est-il pas lui même le Mystère du Christ, le lieu de la Rencontre Essentielle...
le Christ c'est essentiellement l'éveil de l'homme à son origine a Patre... l'entrée de l'homme au plus profond de soi au delà de son propre fond de son propre soi"
L'homme qui a basculé dans son fond n'est pas désincarné mais décréé....
De ce fait ses rapports avec la nature et avec les hommes changent totalement.
Il aime dans la liberté, car il aime comme Dieu aime.
Il laisse les autres libres de l'aimer.
Regarde-t-il les pierres, les fleurs, les arbres, les animaux, les astres... il leur est présent en leur apportant le réconfort de sa tendresse....
Pour lui tout est vivant de la vie qui l'anime lui même... son ego étant devenu fluide il participe sans s'assujettir....
D'où la puissance d'admiration et l'enthousiasme communicatif de l'ermite...
La grande Mort
En 1956 Le Père Henri Le Saux réside 15 jours avec son guru Gnânânanda qui lui conseille la méditation sans pensée...
" ni lectures, ni prière, ni mesese, dhyana seule et continuelle...
nul plus alors le chrétien advaitin ne célébrera avec perfection sa messe, ne chantera son office...car à un degré que nul autre ne saurait atteindre il sentira le Mystère divin en chaque geste et chaque mot de la Sainte Liturgie...chaque chose chaque verset de psaume est frémissant pour lui de la divine Présence... de l'éternité de l'Être...car qui chante l'office? qui consacre à la messe ?...le Mystère impénétrable de Dieu qui EST et se révèle"
La grande Mort... celle du dénuement intérieur des signes et des images dépassée Henri le Saux arrive à la Résurrection et accède au Réel et à la Vérité...
Cette mort qui fait si peur à l'occidental est vécu dans le contexte indien comme une libération...où l'on naît dans l'acte même de mourrir...
cette mort nécessaire permet à l'homme ,même durant sa condition terrestre de transfigurer le temps et l'espace...
physiquement présent il s'intègre en fait ailleurs...
" J'appelle chrétien un homme qui aime ses frères pour eux-même et ne se sert pas d'eux pour son propre intérêt...
J'appelle chrétien un homme qui aime Dieu pour Lui même et pour lequel Dieu n'est pas quelque chose dont on se sert... pour obtenir quelque chose pour soi ...dans ce temps ou dans le temps avenir...
Quand enfin Dieu ne sera plus pour moi rien que je puisse voir, entendre, embrasser, comprendre, sentir ... alors enfin j'aurai trouvé Dieu...Dieu en soi...
Lorsqu'enfin Dieu ne sera plus un moyen pour moi mais "rien" pour moi... alors c'est moi qui désormais rien serait emporté au grand souffle de l'Esprit ,au Grand Oeuvre de Dieu..".
Il a enfin trouvé l'équilibre..et c'est dans les années 70 qu'il écrira ses plus beaux textes
Sur les Ecritures tout d'abord ou il souligne que toute lecture des Ecritures Sacrées Upanishads ou Bible exige une préparation...sinon le message demeure scellé... recueillement, intelligence du coeur sont absolument nécessaires...et la foi qui seule peut permettre de déchiffrer le message..
.il rejette donc la logique l'exégèse et son enfermement..;
Une expérience ne se transmet pas...elle se propage ...et les Ecritures n'ont que valeur de signe...il faut éprouver soi même le message...
" Lis, étudie sans cesse, médite les écritures
cependant une fois que la lumière a brillé
au dedans de toi
laisse les tomber comme on laisse tomber
le brandon qui a saisi à allumer le feu
(Amritanâda upanishad)
"Le signe doit s'effacer devant la Réalité...Tout s'éclipse en la Présence et dans la Présence"...
De même il ne faut pas se complaire dans la méditation pour elle même...même si celle-ci constitue une aide précieuse...elle peut conduire le cheminant vers de Pseudo-expérience et non pas la Vraie Expérience...
Seul compte véritablement le Silence...
" et qui a atteint le silence comment pourrait-il le savoir...le savoir c'est le dire...et tout dit rompts le silence..."
"Or c'est dans ce Silence que surgit l'Illumination... cette Illumination ...cet Eveil est l'état naturel de l'homme...
et ce qui empêche l'éntincelle de jaillir c'est l'encombrement de l'esprit par toutes sortes de désirs et de conceptions...
Ainsi la lumière ne jaillit pas à l'issue d'un acquisition...mais par un dépouillement de tout ce qui peut y faire obstacle..."
"Moine vient de monachos qui en grec veut dire Un ( monos)...on pense tout se suite à l'état de solitude ...mais c'est plutôt l'unité de l'orant avec le créateur qu'il s'agit...
et de même que l'orant ignore qu'il prie... l'homme unifié ne saurait percevoir sa véritable identité...l'état du moine coïncide avec l'état de non dualité qui est l'advaïta...les rites peuvent alors disparaitre..."
" Quand il y a dualité l'un voit l'autre, l'un sent l'autre, l'un goûte l'autre, l'un parle à l'autre, l'un pense l'autre, l'un connaît l'autre...mais si le seul Soi est tout l'homme ...Qui verrait-il et comment?...
Qui écouterait-il et comment?...
Qui penserait-il et comment?...
Qui connaîtrait-il et comment? ...
Comment connaîtrait-il Celui par qui il connait tout?...
Par qui connaître le Connaisseur?...
unifié l'Eveillé dépasse toute contradiction et toute antinomie...
il se tient au delà de la mort et de la vie du non-être et de l'être de la connaissance et de la non-connaissance...
l'Eveillé n' a pas à se situer...il ne cherche pas à savoir qui il est...
Le voudrait-il qu'il ne le pourrait pas...
Ainsi le sannyâsa est engagement dans une voie apophatique...au sein d'une telle expérience l'homme ne peut plus se définir que de manière négative, par négation de négations qui s'effacent les unes les aurtres...en réalité rien ne saurait être dit.. et.soudain un éclair illumine l'espace du coeur...
...l'oeil cligne et on crie Ah !"
L'avantage de l'ermite vivant dans la solitude et le silence c'est qu'il se sent appelé intérieurement...le Soi appelle, la Présence souhaite être reconnue:
" L'homme porte ainsi en lui le drame de l'absolu...l'homme c'est l'être kénosé, l'être qui se sait l'Être par un instinct très sûr, par un instinct qui ne peut tromper...
Mais il ne peut se retrouver soi-même en l'Être...
Il est comme un nageur balloté par les vagues qui ne sait où retrouver pied...
Il remue bras et jambes mais nul de ses membres, nul de ses facultés ne peut s'agriper au Réel...
Celles-ci ne rencontrent jamais que des ersatzt du Réel, des formulations valables seulement en ce monde créé, en ce monde relatif...en ce monde qui passe ...mais incapables de faire passer l'homme à l'Absolu qu'il Est...
et c'est ce stigmate fondamental de la nature humaine que la théologie chrétienne a admirablement mis en lumière en montrant que dans sa propre nature est inscrit son appel à Dieu, en Soi...
Le péché originel quoi qu'il en soit de sa nature historique est l'expression la plus forte du "stigmate" congénital à l'homme qui se découvre jeté là dans le monde...homme non achevé sans la Grâce...la Grâce étant le Christ"
Il est difficile à l'homme de saisir la densité de sa profondeur...
" Tu es plus profond et plus réel que tout ce que tu peux percevoir, imaginer ou concevoir...Tant que tu te perçois ou tu te conçois... tu ne t'es pas encore atteint, tu vis en la superficie de toi...
La délivrance c'est d'atteindre le centre de toi...
le centre de toi c'est le Mystère de Dieu...le Mystère...
Dieu au fond de ton coeur...
le Ciel est le fond même de ton coeur...Ciel étant la manière de te faire comprendre que tu es toi même au delà de toi même ineffablement..."
" Cherche Dieu jusqu'à ce que tu Le trouves
au delà de toute pensée de Lui et de tout sentiment de Lui
au delà de la pensée que tu as de Son impensabilité
au delà du sentiment que tu as de Son " inexpérimentabilité"
Et pour chercher Dieu cherche toi toi même
au delà du sujet dont tu as conscience qu'il perçoit, qu'il sent, qu'il pense
au delà du sujet qui a conscience qu'il se perçoit, qu'il se sent, qu'il se pense soi-même
Tant que tu auras encore conscience de toi tu ne te seras pas atteint toi-même
Tu es aussi loin de toi que Dieu est loin de toi
Dieu est aussi proche de toi que tu nes proche de toi même
Dieu est aussi loin de toi au dedans de toi
qu'il est loin au dehors de toi
Parcours le champ des étoiles, dépasse les galaxies
et tu n'auras pas encore atteint Dieu
Le Ciel de Dieu est au delà de tous les cieux que peut atteindre l'homme par les sens ou sa raison
Le Mystère que tu portes en toi est lui aussi au delà de toutes les galaxies que peut parcourir ton esprit
Dieu est aussi transcendant à toi quand tu le regardes au dedans que lorsque tu le regardes dehors
et tout autant inaccessible"
Le danger constant est de l'appréhender à un faux niveau...de le considérer comme on regarde une créature et de s'abandonner ainsi à l'idolâtrie...
D'ou la nécessaire purification continuelle de cette idée...et de toute dualité de celui qui cherche...couper la différence entre celui qui cherche et Celui qui est cherché......d'où la necessité du silence...de l'imagination...des sens...de la pensée...et même de l'idée de la Présence...et la nécessité de s'engouffrer en Elle comme le papillon dans la flamme...
Le disciple...
En octobre 1971 Henri Le Saux rencontre à Dehli Marc Chaduc...étudiant au grand séminaire de Lyon et qui à 27 ans va devenir son fils spirituel...
Ils vont vivre ensemble des expériences spirituelles de très haute intensité... Marc deviendra lui aussi moine ...un nouveau sannyâsi chrétien par immersion dans le Gange en Juin 73...
De disciple qu'il était Henri Le Saux devient gourou vivant à son tour le sentiment de plénitude de toute paternité spirituelle...
Les rencontres mystiques seront alors d'une intensité telle qu'il deviendra difficile à l'un et à l'autre d'en soutenir l'ampleur...
Le Père Le Saux en raison de son extrème sensibilité et de sa résonnance en sera particulièrement ébranlé...
et le 14 juillet 73 c'est la crise cardiaque dans une rue de Rishikesh...
il est recueilli et soigné par les soeurs franciscaines à Indore...
Cet épisode douloureux est pour lui l'occasion d'une grandre félicité...de Béatitude absolue,...d'Eveil soudain... de pure Conscience et de totale Libération...
" Ma crise cardiaque ne fût que la toile de fond d'un temps spirituel merveilleux...Je n'ai que le souvenir d'une Joie intense... et de 2 semaines passées au lit...
vie et mort ne sont pour moi désormais que des situations existentielles..."
Je sais maintenant que l'Upanishad est vraie...c'est l'entrée dans la Lumière Suprême...l'Atman...c'est la Félicité..c'est Brahman...
J'ai découvert le Graal ...et le Graal n'est ni loin ni près...
il est hors de tout lieux...l'envol, l'Eveil...la quête est consommée..."
"Je connais ce grand Purusha
couleur de soleil
d'au delà des ténèbres
Celui qui l'a reconnu
passe outre la mort
Il n'y a pas d'autre chemin à suivre"
La mort physique est secondaire ......seule la mort" métamorphose " celle que l'on rencontre quand l'homme plonge en son fond est importante... c'est la grande mort du Moi !
La petite mort il la vivra le 7 décembre 73 toujours chez les soeurs franciscaines d'Indore après une deuxième crise cardiaque...
"Dieu est trop Lumière pour se maintenir en face de Lui...On disparait absorbé dans la Source"
Il fut inhumé à Indore .
... 21 ans plus tard le 10 décembre 1994 ses restes furent tranférés au Shantinavam et enfouis aux côtés de deux autres tombes...celle de Père Griffiths moine anglais et successeur de l'abbé Montchanin..et bien sûr celle de l'abbé Montchanin lui même qui demeurera vide...ses restes étant toujours à Bièvres près de Paris...
Quand à Marc Chaduc...c'est à lui que nous devons la transcription du Journal du Père Le Saux...
Après avoir jeté l'original dans le Gange...et avoir poursuivit quelque temps son errance en Inde...vers la Lumière...ses dernières nouvelles le situaient en Himalaya...et depuis ...rien...
nul doute qu'il a trouvé aussi la paix de l'âme en ce monde ou ailleurs...rayonnant lui aussi dans l'Eveil de l'Aurore sans fin...