L'amour
L'amour occupe une place centrale dans l'œuvre de Najm al-Dîn Kubrâ. Il est un empressement, un désir ardent, un feu qui embrase le cœur :«Lorsque le cœur est devenu le lieu où couvent les flammes de l'invocation, du désir, et de l'amour fervent, des flammes descendent sur lui, et de la terre jaillissent des flammes comme les étincelles de la forge.»
Chez Najm al-dîn Kubrâ, cet amour, fruit de la connaissance mystique, est comparable à l'amour des créatures qui provoque le dérèglement et conduit l'amant à prononcer des paroles inacceptables. Chez l'amoureux sur le chemin de Dieu, il s'agit des paradoxes qualifiés d'impiété (shatahat), mais qui sont inévitables lorsque l'amour s'empare du cœur:« Ces mots sont de l'impiété, mais ils sont le produit de l'état de la contrainte et non de l'estimation et du libre vouloir. Ces mots ce n'est pas l'amant qui les prononce, mais seulement le feu de l'amour fervent, car l'éducation du feu de l'amour vient du bien-aimé, et seul l'amant dit par la langue de l'état spirituel : Tu es ma perdition dans la religion et le bas-monde qui sont miens. Tu es mon impiété et ma foi, mon vœu et le but de mon désir. Toi c'est moi. »
Cette vision découle de la voie qu'avait suivi Al-Hallâj qu'il cite plusieurs fois dans son œuvre et dont le propos "Je suis Dieu" (Anâ al-Haqq, littéralement "Je suis le Réel") avait conduit au martyr. Car pour Najm al-Dîn Kubrâ, ce feu de l'amour qui dévore l'aspirant mène à ce qu'il nomme la "mort volontaire", l'annihilation en Dieu. Cette pédagogie amoureuse est issue de la «religion de l'amour» (Madhhab-é 'Eshq) développée par Ahmad Ghazâlî qui se trouve être dans la chaîne des maîtres de Kubrâ par Najîb Sohrawadî, puis Rûzbihân Misrî.
La mort volontaire (de l'ego)
Cette voie périlleuse décrite par Najm al-Dîn Kubrâ, qui est celle de ceux qu'il qualifie de «voyous» (shuttâr) passe par la mort volontaire de l'aspirant :« C'est la voie des effrontés qui appartiennent aux gens de l'amour qui voyagent par le ravissement (…) Cette voie élue est bâtie sur la mort choisie par l'aspiration. Le Prophète a dit : "Mourez avant de mourir".»
Même si Najm al-Dîn Kubrâ s'appuie sur le récit de Hallâj, ce qu'il nomme la mort volontaire n'est pas une dissolution physique. Il s'agit de la mort du "moi", qui affirme son existence, et qui vient nier l'unicité de l'être :« Or, il est indispensable pour le chercheur de s'extraire de tout objet de recherche distinct de Lui, y compris l'existence. »L'existence est donc le voile-même qui plonge dans l'obscurité l'aspirant, et c'est d'elle qu'il faut s'échapper par cette mort à laquelle conduit Najm al-Dîn Kubrâ ses disciples. Peu importe s'ils doivent passer par des propos jugés intolérables et qu'ils soient qualifiés d'effrontés, car c'est la voie qui mène à la véritable vie qui est la vie dans la lumière divine :« Celui qui meurt volontairement à ces qualités ténébreuses, Dieu lui donne vie par la lumière de Sa providence comme le très-Haut l'a dit : Et celui qui était mort à qui Nous avons rendu la vie et pour qui Nous avons disposé une lumière par laquelle il marche parmi les gens est-il à l'image de celui qui se trouve dans les ténèbres et ne peut en sortir (Coran VI,122).»
La lumière
Cette victoire de la lumière de Dieu chez Najm al-Dîn Kubrâ passe par une vision graduelle de la lumière selon la couleur. Pour Henry Corbin, il semble être le premier maître soufi à s'être intéressé au phénomène de couleur. Les lumières colorées deviennent alors les témoins du combat spirituel auquel se livre l'aspirant :« Si le voyageur lutte en Dieu d'une lutte réelle, l'imagination et la faculté figurative s'atténuent et disparaissent les figures et les formes, et se multiplient les significations des visitations sous un vêtement de couleurs par la puissance du regard, et les lumières blanches, noires, rouges, jaunes, bleues, et ternes, et la lumière de l'or et de l'argent, et celle de l'air, et cela est le sommet de la pureté. »Ce combat se situe au niveau de l'âme (nafs), qui est caractérisé par les différentes qualifications qu'elle revêt et qui est bien connu des soufis ou des melâmîs : l'âme qui ordonne le mal (nafs ammâra), l'âme qui se blâme (nafs lawwâma), et l'âme apaisée (nafs motma'yanna). Najm al-Dîn Kubrâ cherche donc à conduire les disciples vers cette lutte intérieure, par la vision du cœur de la lumière sous ses différentes couleurs, afin qu'ils parviennent à l'âme pacifiée, qui est un retour à Dieu selon le verset coranique : « Ô toi, âme pacifiée, retourne à ton Seigneur, satisfaite et agréée (Coran LXXXIX, 27-28) »