Acceptation de soi selon Spinoza et Arnaud Desjardins :
1/ Spinoza
L'acquiescement intérieur
Je nommerai acquiescement intérieur la joie, accompagnée de l'idée de soi-même et la tristesse correspondante, repentir. Voici maintenant ce qui peut arriver : comme la joie qu'on s'imagine procurer aux autres peut être une joie purement imaginaire, et comme aussi chacun s'efforce d'imaginer de soi-même tout ce qu'il représente comme une cause de joie, il peut arriver aisément qu'un vaniteux soit orgueilleux et s'imagine qu'il est agréable à tous, tandis qu'il leur est insupportable. L'acquiescement intérieur peut provenir de la raison, et cet acquiescement né de la raison est la paix plus élevée qu'il nous soit donné de connaître. Démonstration : L'acquiescement intérieur, c'est la joie qui naît pour l'homme de la contemplation de soi-même et de sa puissance d'agir. Or, la véritable puissance d'agir de l'homme ou sa vertu, c'est la raison elle-même que l'homme contemple clairement et distinctement ; d'où il suit que l'acquiescement intérieur naît de la raison. De plus, quand il se contemple soi-même, l'homme ne perçoit d'une façon claire et distincte, c'est-à-dire adéquate, rien autre chose que ce qui suit de sa puissance d'agir, en d'autres termes, de sa puissance de comprendre : et par conséquent, le plus haut degré de l'acquiescement intérieur ne peut naître que de cette seule contemplation. C. Q. F. D. Scholie : L'acquiescement intérieur est réellement l'objet le plus élevé de nos espérances ; car personne ne s'efforce de conserver son être pour une autre fin que soi-même ; et comme cette acquiescement intérieur est entretenu et fortifié en nous par les louanges et troublé au contraire par le blâme d'autrui, on s'explique ainsi que la gloire soit le principal mobile de nos actions, et que la vie avec l'opprobre nous devienne presque insupportable. [rig]Éthique, III et IV.
L'amour intellectuel
Spinoza appelle intellect (ou "connaissance du troisième genre", distincte de l'imagination - premier genre - et de la raison - second genre) non pas la faculté de verbaliser nos sentiments et sensations mais au contraire l'intuition de l'unité immédiate de l'infini et du fini, de Dieu et de toutes ses façons d'être que nous sommes (cf. Ethique II, scolie de la prop. 40) - se situant dans un usage étymologique du mot : intelligere = inter legere (saisir le lien, l'unité entre), intus legere (lire l'essence intime).
Proposition 32 - Tout ce que nous connaissons d'une connaissance du troisième genre nous fait éprouver un sentiment de joie accompagné de l'idée de Dieu comme cause de notre joie. Démonstration : De cette espèce de connaissance naît pour l'âme la paix la plus parfaite, c'est-à-dire la plus parfaite joie qu'elle puisse ressentir, et cette joie de l'âme est accompagnée de l'idée de soi-même, et partant de l'idée de Dieu à titre de cause. Corollaire : Cette connaissance du troisième genre produit nécessairement l'amour intellectuel de Dieu ; car elle produit (par la Propos. précéd.) une joie accompagnée de l'idée de Dieu comme cause, c'est-à-dire l'amour de Dieu, non pas en tant que nous imaginons Dieu comme présent, mais en tant que nous le concevons comme éternel. Or cet amour est justement ce que j'appelle l'amour intellectuel de Dieu. Proposition 35 - Dieu s'aime soi-même d'un amour intellectuel infini. Démonstration : Dieu est absolument infini. Par conséquent, la nature de Dieu jouit d'une perfection infinie accompagnée de l'idée de soi-même, à titre de cause. Or, c'est cela même que nous avons appelé amour intellectuel dans le Coroll. de la Propos. 32, part. 5.
Proposition 36 - L'amour intellectuel de l'âme pour Dieu est l'amour même que Dieu éprouve pour soi, non pas en tant qu'infini, mais en tant que sa nature peut s'exprimer par l'essence de l'âme humaine considérée sous le caractère de l'éternité, en d'autres termes, l'amour intellectuel de l'âme pour Dieu est une partie de l'amour infini que Dieu a pour soi-même. Démonstration : Cet amour de l'âme doit être rapporté à l'activité de l'âme même. Cet amour est donc une action par laquelle l'âme se contemple soi-même, et qui est accompagné de l'idée de Dieu, à titre de cause ; en d'autres termes, une action par laquelle Dieu, en tant qu'il peut être exprimé par l'âme humaine, se contemple soi-même, et qui est accompagnée de l'idée de soi-même ; par conséquent, cet amour de l'âme est une partie de l'amour infini que Dieu a pour soi-même. C. Q. F. D. Corollaire : Il résulte de là que Dieu, en tant qu'il s'aime lui-même, aime aussi les hommes, et par conséquent que l'amour de Dieu pour les hommes et l'amour intellectuel des hommes pour Dieu ne sont qu'une seule et même chose. Scolie : Ceci nous fait clairement comprendre en quoi consistent notre salut, notre béatitude, en d'autres termes notre liberté, savoir, dans un amour constant et éternel pour Dieu, ou si l'on veut, dans l'amour de Dieu pour nous. Les saintes Ecritures donnent à cet amour, à cette béatitude, le nom de gloire, et c'est avec raison. Que l'on rapporte en effet cet amour, soit à Dieu, soit à l'âme, c'est toujours cet acquiescement intérieur qui ne se distingue véritablement pas de la gloire. Si vous le rapportez à Dieu, cet amour est en lui une joie (qu'on me permette de me servir encore de ce mot) accompagnée de l'idée de lui-même ; et si vous le rapportez à l'âme, c'est encore la même chose. Éthique V.
2/ Arnaud Desjardins
Le chemin commence avec l'amour de soi-même et non avec la mutilation ou la destruction de soi-même. Et toute une part du chemin consiste à s'occuper avec amour de l'ego, pour lui permettre de s'effacer, de grandir et de se transformer. ( A la recherche du Soi, L'état sans désir.)
No denial in any form whatsoever.
Aucun déni, sous quelque forme que ce soit. Le denial, c'est tenter d'affirmer que ce qui est n'est pas. Mais ce denial peut aussi se produire de façon semi-consciente ou de façon complètement inconsciente. A ce moment là, ce denial devient ce qu'on appelle en psychologie moderne censure, refoulement (repousser ce qui nous déplaît dans l'inconscient), ce que Swâmiji appelait simplement repression, répression. No denial. Ne jamais nier, dénier, renier, refuser, désavouer ce qui est. Ce denial est la forme la plus terrible du mensonge. Je ne suis plus dans la vérité. Je peux être tout à fait sincère à la surface et être dans le denial en profondeur. Je refuse de voir certaines vérités extérieures à moi ou certains amours, certaines haines, certains désirs, certaines peurs, tout ce qui me gêne. J'essaie de faire comme l'autruche qui, paraît-il, enfouit sa tête dans le sable pour ne pas voir le danger qui la menace. Eh bien, nous, ce n'est pas notre tête que nous enfouissons dans le sable, c'est ce qui nous menace que nous essayons d'enfouir dans le sable du denial pour ne plus le voir. A partir de la naissance, pratiquement, une existence est fondée sur le denial. Vous pouvez accepter cette équation : le mental, c'est le denial, toujours autre chose que ce qui est : ça devrait être, ça ne devrait pas être. (A la recherche du Soi, L'acceptation.) Si vous êtes engagé sur un "chemin", votre idéal fait que vous n'acceptez pas de ne pas être un sage. Mais voulez vous être sage ou avoir l'air d'un sage ? Ce n'est pas le même but, ce n'est pas le même chemin, ce n'est pas le même enseignement. Une part de nous ne veut pas être un sage ; cela nous arrangerait tellement, et à bien meilleur compte, d'avoir l'air d'un sage. Voyez quelle dualité vous fabriquez à l'intérieur de vous ! Comment échapper à cette impasse totale dans laquelle une part de vous veut mettre à la raison une autre part de vous, c'est-à-dire pose déjà une dualité ? En comprenant comment "être un avec", ici, maintenant, dans le relatif. Et, chaque fois que le mental a cessé d'adhérer à la réalité, revenir à ce qui est. (Au-delà du moi, chap. Le yoga de la connaissance.) Non seulement il n'y a rien de mal à "voir" le pire en vous, mais ce qui est réellement "mal", si on veut employer ce mot, c'est de ne pas avoir le courage de la vérité. C'est une nouvelle morale qui apparaît, celle de la vérité et de l'honnêteté : qu'est-ce qui existe au plus profond de moi ? C'est tout. La plongée dans son monde intérieur doit se faire avec une nouvelle éthique, une éthique scientifique, le respect absolument sacré de la vérité, le désir non moins sacré de ne plus être dans le mensonge. La condamnation de vous-mêmes vous fait vivre dans le conflit et la peur. Vivre dans la peur vous interdit l'amour et vous maintient dans l'égoïsme. Et c'est cette absence d'amour qui est la cause du "mal". En vous aveuglant à ce que vous croyez mal à l'intérieur de vous, vous vous condamnez à faire le mal dans votre vie courante par ignorance et par aveuglement. (Le Vedanta et l'inconscient, chap. La purification de l'inconscient.)