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DE LA DOCTE IGNORANCE

Philosopher religieusement à propos du savoir et du non-savoir ; en non-dualité, on parle de nuage d'inconnaissance : Peut-on vraiment savoir?

Le Cardinal Nicolas de Cusa au très révérend père le Cardinal Julien, son maître vénérable. De La Docte Ignorance. (…)

 

S3.-LA VÉRITÉ PRÉCISE EST INSAISISSABLE

Parce qu'il va de soi qu'il n'y a pas de proportion de l'infini au fini, il est aussi très clair, de ce chef, que, là où l'on peut trouver quelque chose qui dépasse et quelque chose qui est dépassé, on ne parvient pas au maximum simple; en effet ce qui dépasse et ce qui est dépassé sont des objets finis; au contraire le maximum simple est nécessairement infini. Quelque objet que l'on me donne, si ce n'est pas le maximum simple lui-même, il est manifeste qu'on pourra toujours m'en donner un plus grand. Et, parce que nous voyons que l'égalité comporte des degrés, de sorte que telle chose soit plus égale à celle-ci qu'à celle-là, à cause des convenances et différences génériques, spécifiques, de lieu, d'influence et de temps, avec les choses qui lui ressemblent, il est clair qu'on ne peut pas trouver deux ou plusieurs objets semblables et égaux à tel point que des objets plus semblables encore ne puissent pas exister en nombre infini. Que les mesures et les objets mesurés soient aussi égaux que l'on voudra, il subsistera toujours des différences. Donc, notre intelligence finie ne peut pas, au moyen de la similitude, comprendre avec précision la vérité des choses. En effet, la vérité n'est pas susceptible de plus ou de moins, mais elle est d'une nature indivisible, et tout ce qui n'est pas le vrai lui-même est incapable de la mesurer avec précision : ainsi ce qui n'est pas cercle ne peut pas mesurer le cercle, car son être consiste en quelque chose d'indivisible. Donc l'intelligence, qui n'est pas la vérité, ne saisit jamais la vérité avec une telle précision qu'elle ne puisse pas être saisie d'une façon plus précise par l'infini; c'est qu'elle est à la vérité ce que le polygone est au cercle: plus grand sera le nombre des angles du polygone inscrit, plus il sera semblable au cercle, mais jamais on ne le fait égal au cercle, même lorsqu'on aura multiplié les angles à l'infini, s'il ne se résout pas en identité avec le cercle. Donc, il est clair que tout ce que nous savons du vrai, c'est que nous savons qu'il est impossible à saisir tel qu'il est exactement; car la vérité, qui est une nécessité absolue, qui ne peut pas être plus ou moins qu'elle est, se présente à notre intelligence comme une possibilité. Donc, la quiddité des choses, qui est la vérité des êtres, est impossible à atteindre dans sa pureté; tous les philosophes l'ont cherchée, aucun ne l'a trouvée, telle qu'elle est ; et plus nous serons profondément doctes dans cette ignorance, plus nous approcherons de la vérité elle-même.

 

S4 - LE MAXIMUM ABSOLU EST COMPRIS SANS ÊTRE SAISI : AVEC LUI COÏNCIDE LE MINIMUM

Le maximum simple et absolu qui est ce qu'il peut y avoir de plus grand, parce qu'il est trop grand pour pouvoir être saisi par nous puisqu'il est la vérité infinie, est atteint par nous sans que nous puissions le saisir. En effet, comme il n'est pas de nature à admettre un excédent et un excès, il est au-dessus de tout ce qui peut être conçu par nous; car tous les objets qui sont appréhendés par les sens, la raison ou l'intelligence, diffèrent tellement entre eux et de l'un à l'autre, qu'il n'y a pas entre eux d'égalité précise. Donc l'égalité maxima, celle qui n'a de diversité et de différence avec rien, dépasse toute intelligence ; c'est pourquoi le maximum absolu, puisqu'il est tout ce qui peut être est tout entier en acte, et, comme il est ce qu'il peut y avoir de plus grand, pour la même raison il est ce qu'il peut y avoir de plus petit : n'est-il pas tout ce qui peut être ( Manuscrits de Munich : T = Tegernsee clm. 18711, E = Emmeramensis clm. 14213. Editions : A = 1502, B =1514, C = 1565.) ? Or, le minimum est une chose telle qu'il ne puisse y en avoir de plus petite. Et, comme le maximum est ainsi, il est évident que le minimum coïncide avec le maximum. Pour que cela soit plus clair, que l'on restreigne le maximum et le minimum à la quantité : la quantité maxima est grande au maximum; la quantité minima est petite au maximum. Que l'on purifie de la quantité le maximum et le minimum en enlevant par l'intelligence le grand et le petit et l'on voit clairement que le maximum et le minimum coïncident. Ainsi en effet le maximum est un superlatif, comme le minimum un superlatif. Donc la quantité absolue n'est pas maxima plutôt que minima, puisqu'en elle le minimum et le maximum coïncident. Donc, les oppositions n'existent que pour les objets qui (Nous suivons E et T.) admettent un excédent et un excès, elles leur conviennent avec des différences, mais en aucune façon elles ne conviennent au maximum absolu, car il est au-dessus de toute opposition. Par suite, comme le maximum absolu est absolument en acte toutes les choses qui peuvent être, tellement en dehors de n'importe quelle opposition que le minimum coïncide dans le maximum, il est, de la même manière, au-dessus de toute affirmation et de toute négation. Et tout ce dont on conçoit l'existence, est et n'est pas, tout aussi bien. Et tout ce dont on conçoit l'inexistence, n'est pas et est, tout aussi bien Mais alors tel objet particulier se trouve être toutes les choses réunies; toutes les choses réunies se trouvent n'être rien du tout, et ce qui est au maximum est en même temps au minimum. En effet il n'y a aucune différence entre l'affirmation : « Dieu qui est la maximité absolue elle-même, est la lumière » et l'affirmation: « Dieu est au maximum la lumière, lui qui est au minimum la lumière ». En effet la maximité absolue ne serait pas tout le possible en acte, si elle n'était pas infinie, si elle ne bornait pas toutes les choses, et si elle pouvait être bornée par l'une d'elles. Nous allons l'expliquer dans les pages suivantes, grâce à la bonté de Dieu lui-même. Or, cela dépasse toute notre intelligence, car elle ne peut pas, dans son principe, combiner les contradictoires par la voie de la raison, parce que nous cheminons parmi les objets que nous manifeste la nature elle-même; et notre intelligence, trébuchant parce qu'elle est loin de cette force infinie, ne peut pas lier des contradictoires, séparés par un infini. Donc, au-dessus de toute démarche de la rai-son, nous voyons, d'une façon incompréhensible, que la maximité absolue est infinie, que rien ne lui est opposé, et qu'avec elle coïncide le minimum. Mais le maximum et le minimum, tels qu'ils sont employés dans cet ouvrage, sont des termes d'une valeur transcendante, d'une signification absolue, de telle sorte que toutes les choses sont embrassées dans leur simplicité absolue, au-dessus de toute restriction à une quantité de masse ou de force. Dans ce passage, déjà si discuté, le raisonnement ou, si l'on préfère, l'ordre des idées nous semble être le suivant : L'auteur, ne l'oublions pas, veut établir que le maximum est insaisissable. L'égalité maxima, dit-il, celle qui ne comporte aucune différence, même infime, dépasse notre intelligence; c'est pourquoi le maximum, dont nous avons établi précédemment qu'il est tout ce qui peut-être, est profondément en acte, et je dois le faire coïncider avec le minimum, puisqu'il est tout ce qui peut être et que, par conséquent, il ne peut rien y avoir de plus petit. Pour notre façon de comprendre non potest majus (minus) esse, nous renvoyons au chap. XIII, livre I : « Circumferentia, quae major esse non potest » = la circonférence qu'il peut y avoir de plus grande. Dans ce tour quelque peu obscur, nous voyons une des caractéristiques de la manière cusienne.

 

S5 - LE MAXIMUM EST UN

De cela il résulte très clairement que le maximum absolu est intelligible sans qu'on puisse le saisir, et nommable sans qu'on puisse le nommer, comme nous l'enseignerons d'une façon plus manifeste par la suite. Il n'y a pas d'objet que l'on puisse nommer et qui soit tel qu'il n'y en ait pas un plus grand ou un plus petit, parce que les noms sont attribués par un mouvement de la raison aux choses qui admettent un excédent ou un excès. Et puisque toutes les choses sont de la façon la meilleure qu'elles peuvent, du même coup sans le nombre il ne peut pas y avoir de pluralité des êtres. En effet enlevez le nombre et il n'y aura plus de distinction des choses, d'ordre, de proportion, d'harmonie et même de pluralité des êtres. D'ailleurs si le nombre lui-même était infini, puisque alors il serait grand au maximum et qu'avec lui coïnciderait le minimum, tout ce qui vient avant tomberait pareillement. Il revient en effet au même que le nombre soit infini et qu'il soit au minimum. Si donc, en montant dans l'échelle des nombres on parvient en acte à un maximum, cependant parce que le nombre est fini, on ne parvient pas à un maximum tel qu'il ne puisse pas y en avoir de plus grand, car celui-là serait infini. C'est pourquoi il est manifeste que l'ascension du nombre est, en acte, chose finie et qu'en puissance il arriverait à un autre nombre; mais dans la descente le nombre se comporterait de la même façon; par soustraction, on peut toujours en donner un plus petit, comme, pour l'ascension, on pouvait en donner un plus grand par addition, les mêmes conséquences se produisent; sinon on ne trouverait dans les nombres ni distinction entre les choses, ni ordre, ni pluralité, ni excédent, ni excès; bien plus, il n'y aurait pas de nombre. C'est pourquoi il est nécessaire que, dans le nombre, on arrive à un minimum, tel qu'il ne puisse pas y en avoir de plus petit : l'unité. Et, parce qu'il ne peut rien y avoir de plus petit que l'unité, elle sera un minimum simple, et celui-ci coïncide, comme on le voit tout de suite, avec le maximum. Or, l'unité ne peut pas être un nombre, parce que le nombre, comme il admet un excédent, ne peut en aucune façon être ni un minimum ni un maximum simple : mais elle est, parce que minimum, le principe de tout nombre, et, parce que maximum, la fin de tout nombre. L'unité est donc absolue; rien ne lui est opposé, elle est la maxi-mité absolue elle-même ; elle est le Dieu béni. Cette unité, puisqu'elle est maxima, ne peut pas être multipliée, puisqu'elle est tout ce qui peut être. Donc elle ne peut pas devenir elle-même un nombre. Que l'on voie où le nombre nous a amenés: nous comprenons qu'au Dieu que nous ne saurions nommer, convient très exactement l'unité absolue et que Dieu est un de telle sorte qu'il soit en acte tout ce qui peut être. C'est pourquoi l'unité elle-même ne reçoit ni plus ni moins et on ne saurait la multiplier. Aussi la Déité est-elle l'unité infinie. Donc celui qui a dit : « Écoute, Israël : ton Dieu est un» et « vous n'avez qu'un maître et qu'un Père aux cieux» n'aurait rien pu dire de plus vrai; et celui qui dirait qu'il y a plusieurs dieux, affirmerait très faussement qu'il n'y a ni Dieu ni rien de tout ce qui compose l'univers : on le montrera dans les pages suivantes. En effet, de même que le nombre qui est un être de raison fabriqué par notre faculté de discernement comparative, présuppose nécessairement l'unité, qui est tellement le principe du nombre que, sans elle, il est impossible que le nombre existe; de même les pluralités des choses, qui descendent de cette unité infinie, sont avec elle dans un rapport tel que sans elle, elles ne pourraient pas être; en effet comment seraient-elles sans être ? Or, l'unité absolue est entité; nous le verrons plus loin.

 

S6 - LE MAXIMUM EST LA NÉCESSITÉ ABSOLUE

On a montré, dans ce qui précède, que toutes les choses, sauf le seul maximum simple, sont finies et limitées par rapport à lui. Mais le fini, le limité a un commencement et une fin; or, on ne peut pas dire que le maximum soit plus grand qu'un fini donné et qu'il soit fini, même si, de cette façon, on progresse toujours et jusqu'à l'infini, car dans les excédents et les excès la progression à l'infini ne peut pas se faire en acte, sinon le maximum serait de la nature des objets finis ; donc, le maximum est nécessairement en acte le principe et la fin de tous les objets finis. En outre rien ne pourrait être si le maximum simple n'existait pas; en effet, comme tout objet qui n'est pas le maximum est fini, il dérive d'un principe; or, il sera nécessaire qu'il dérive d'un objet autre que lui, autrement si c'était de lui-même, il aurait été, avant même d'être, et il n'est pas possible, comme la règle le montre, que de principe en cause on aille jusqu'à l'infini. Donc, le maximum simple sera ce sans quoi rien ne peut exister. En outre restreignons le maximum à l'être et disons : rien n'est en opposition à l'être au maximum (Nous lisons maxime esse.), donc ni l'être ni l'être au minimum; comment donc peut-on comprendre que le maximum puisse ne pas être, quand être au minimum est être au maximum ? De plus on ne peut comprendre d'aucun objet qu'il soit sans l'être. Or, l'être absolu ne peut être autre chose (Nous suivons E et T.) que le maximum absolu. Donc, on ne peut comprendre d'aucun objet qu'il soit sans le maximum. En outre la vérité maxima est le maximum absolu; or, ce qui est vrai au maximum est que le maximum simple lui-même soit, ou qu'il ne soit pas, ou qu'il soit et ne soit pas, ou que ni il ne soit, ni il ne soit pas; on ne peut ni dire ni penser davantage; donc, on peut me dire n'importe laquelle de ces propositions comme vraie au maximum, ma démonstration est faite, car j'ai la vérité maxima, c'est-à-dire le maximum simple. Par suite bien que dans les prémisses on ait exprimé que ce nom Être ou n'importe quel autre n'est pas le nom précis du Maximum - et n'est-il pas au-dessus de tout être qu'on puisse nommer ? - cependant on doit lui reconnaître qu'il est au maximum et de façon telle qu'on ne puisse pas le nommer par le nom maximum au-dessus de tout être qu'on puisse nommer. Pour de telles raisons et une infinité de raisons supérieures analogues la docte ignorance voit que le maximum simple existe nécessairement, de telle sorte qu'il est l'absolue nécessité. Or, il a été prouvé que le maximum simple ne peut être qu'un, donc il est très vrai que le maximum est un.

 

S7 - DE L'ÉTERNITÉ TRINE ET UNE

Il n'y eut jamais aucune nation qui ne servît pas Dieu et ne le reconnût pas pour le maximum absolu. Nous savons que Minar dans ses Antiquités a noté : « Les Sisséniens adoraient par-dessus tout l'unité. » Or, le très illustre Pythagore dont l'autorité était inébranlable de son temps, estimait que cette unité est trine. Explorant la vérité de ce jugement, tout en portant plus haut notre esprit, raisonnons conformément aux prémisses. Ce qui précède toute altérité est éternel, personne n'en doute: l'altérité en effet c'est la mutabilité, or, tout ce qui précède naturellement la mutabilité est immuable, donc éternel. Mais l'altérité est composée de l'un et de l'autre, et c'est pourquoi l'altérité, comme le nombre, est postérieure à l'unité. Donc l'unité est, par nature, antérieure à l'altérité, et, puisqu'elle la précède naturellement, l'unité est éternelle. En outre toute inégalité se compose d'une égalité plus un excédent. Donc l'inégalité est, par nature, postérieure' à l'égalité, ce que l'on peut prouver très solidement par résolution. En effet toute inégalité se résout en une égalité; car l'égal se trouve entre le plus grand et le plus petit. Si donc on enlève ce qui dépasse on aura l'égal; et si, au contraire, on a eu un plus petit, qu'on enlève du reste ce qui dépasse et on obtiendra un égal. Et cela on pourra le faire jusqu'à ce que, par des diminutions, l'on soit parvenu à des éléments simples (L'élément simple c'est celui oui ne comporte pas en lui d'inégalité. c'est l'égalité absolue. V. la suite.). Il est donc évident que toute inégalité se ramène, par des diminutions, à une égalité. Par conséquent l'égalité précède naturellement l'inégalité. Mais inégalité et altérité vont ensemble par nature. En effet où il y a inégalité, au même endroit il y a nécessairement altérité et inversement. C'est en effet entre deux choses au moins, qu'il y aura altérité. Or, ces choses, par rapport à l'une d'elles, feront un double, c'est pourquoi il y aura inégalité. Donc, altérité et inégalité iront ensemble par nature, surtout puisque la dualité est la première altérité et la première inégalité; mais on a prouvé que l'égalité précède par nature l'inégalité, donc du même coup l'altérité; c'est pourquoi l'égalité est éternelle. En outre si, de deux causes, l'une a été antérieure à l'autre, l'effet de la première sera par nature antérieur à l'effet de la seconde ; or, l'unité est soit connexion, soit cause de connexion. C'est pour cela en effet que l'on dit certaines choses « connexes » parce qu'elles sont unies. La dualité, elle, est soit division, soit cause de division. La dualité en effet est la première division. Si donc l'unité est cause de connexion, la dualité est cause de division. Donc, comme l'unité est antérieure par nature à la dualité, ainsi la connexion est antérieure par nature à la division. Mais la division et l'altérité vont ensemble, par nature, et c'est pourquoi la connexion, comme l'unité, est éternelle, puisqu'elle est antérieure à l'altérité. Il a donc été prouvé, puisque l'unité est elle-même éternelle et que l'égalité est éternelle, que, de la même manière, la connexion est éternelle. Mais il ne peut pas y avoir plusieurs éternels. Si en effet il y avait plusieurs éternels, alors, puisque l'unité précède toute pluralité, il y aurait quelque chose, d'antérieur par nature à l'éternité, ce qui est impossible. En outre s'il y avait plusieurs éternels, l'un manquerait à l'autre, aussi aucun d'entre eux ne serait parfait, et il y aurait ainsi un éternel, qui ne serait pas éternel, puisqu'il ne serait pas parfait; cela étant impossible, il ne se peut pas qu'il y ait plusieurs éternels; mais parce que l'unité est éternelle, l'égalité est éternelle, et de même !a connexion : donc unité, égalité et connexion, sont une seule chose. Et voici bien cette unité trine que Pythagore, le premier de tous les philosophes, l'honneur de l'Italie et de la Grèce, a enseignée à notre adoration. Mais ajoutons encore quelques mots plus précis sur la génération de l'égalité par l'unité.

 

S8 - DE LA GÉNÉRATION ÉTERNELLE

Montrons maintenant très rapidement que, par l'unité, est engendrée l'égalité de l'unité, et, de plus, que la connexion procède de l'unité et de l'égalité de l'unité. Unité est synonyme de ontité, du mot grec ou, qui se dit en latin ens, et l'unité est entité. Dieu en effet est l'entité même des choses, car il est le principe de l'essence, et c'est pourquoi il est entité. Or, égalité de l'unité est synonyme d'égalité de l'entité, c'est-à-dire à' égalité de l'essence ou de l'existence. Or, l'égalité de l'essence est ce qui dans une chose n'est pas susceptible de plus et de moins, de trop et de trop peu. En effet si elle est en plus qu'il ne faut dans une chose, c'est un monstre, et si elle est en moins, il n'y a pas non plus de génération de l'égalité par l'unité; ce qui apparaît clairement, lorsqu'on étudie la nature de la génération: en effet la génération est soit la répétition de l'unité, soit la multiplication de la même nature par le père, par procession dans un fils. A la vérité cette sorte de génération ne se trouve que dans les seules choses caduques; au contraire la génération de l'unité par l'unité est une répétition unique de l'unité, c'est-à-dire une fois l'unité; et si je multiplie l'unité deux fois, trois fois ou davantage, l'unité procréera d'elle-même autre chose: un binaire, un ternaire, ou un autre nombre; mais l'unité répétée une fois seulement engendre l'égalité de l'unité, ce qui ne peut se comprendre autrement que par l'engendrement de l'unité par l'unité, et, en vérité, cette génération est éternelle.

 

S9-PROCESSION ÉTERNELLE DE LA CONNEXION

De même que la génération de l'unité par l'unité est une répétition unique de l'unité, ainsi la procession de l'une et de l'autre est une répétition de la répétition de cette unité, ou, si on préfère, l'unition de l'unité et de l'égalité de l'unité elle-même. Or, on appelle procession une sorte d'extension de l'un dans l'autre, comme, lorsque deux choses sont égales, une certaine égalité s'étend, pour ainsi dire, de l'une à l'autre pour les unir et les lier d'une façon quelconque; c'est donc à bon droit que l'on dit de la connexion qu'elle procède de l'unité et de l'égalité de l'unité, et en effet il n'y a pas de connexion d'une chose seule, mais l'unité procède de l'unité dans l'égalité et de l'égalité de l'unité dans l'unition. Aussi est-ce à juste titre qu'on dit qu'elle procède des deux puisqu'elle s'étend, d'une certaine manière, de l'une à l'autre. Mais nous disons que la connexion n'est engendrée ni par l'unité ni par l'égalité de l'unité parce qu'elle ne naît de l'unité ni par répétition, ni par multiplication et, bien que l'égalité de l'unité naisse de l'unité et que la connexion procède de l'une et de l'autre, c'est une seule et même chose que l'unité, l'égalité de l'unité et la connexion qui procède des deux, comme si on appelait la même chose ceci, cela, le même (hoc, id, idem). Ce qui est appelé cela (id) est rapporté au premier et ce qui est appelé le même (idem) lie l'objet rapporté et l'unit au premier. Si donc sur le pronom id on avait formé le mot idité pour que nous pussions dire unité, idité, identité, idité marquant une relation avec l'unité, et identité désignant une connexion de l'idité et de l'unité, ces termes conviendraient d'assez près à la trinité.