Le Vol du Garouda (Shabkar Tsodrouk Rangdreul)

Texte Dzogchen (Grande Perfection) fort inspirant, ce « Vol du Garouda » résume la vue du Dzogchen. Son auteur, Shabkar Tsodrouk Rangdreul (1771-1851) composa ces chants alors qu’il était en retraite sur l’île de Tsonying, le « coeur du lac », au milieu du lac Kokonor. Ce recueil, composé de vingt-trois chants rédigés dans un style à la fois limpide et poétique, fut écrit à l’attention de ses disciples et des pratiquants de son pays natal, la région de Rékong, dans l’Amdo. Ces chants exposent la vue, la méditation et l’action selon le Dzogchen (« Grande Perfection »).

Nous allons faire ici un survol synthétique des idées du « Vol du Garouda » , « survol », terme qui convient, puisque Garouda signifie « aigle », mais le Garouda est plus qu’un aigle, c’est un aigle mythique qui peut voler sans jamais se poser, symbole de l’esprit. Nos citations sont parfois parcellaires et/ou synthétiques et nous prions les puristes de nous pardonner cette sélection un peu arbitraire. Cependant, nous avons gardé les instructions essentielles à la pratique entières. Mais, rassurez-vous, le « Vol du Garouda » existe en intégralité sur internet, en pdf gratuit, en anglais. Notre choix porte sur les vers qui visent directement la réalisation pratique de notre nature bouddhique en évitant les redondances, les exemples facultatifs à la compréhension. Bien que tous les chants donnent des clés, les chants les plus instructifs sont les 16, 17 et suivants. Ne les ratez pas!

CHANT 1

Emaho, heureux enfants de mon coeur, écoutez ceci : (tous les chants commencent ainsi)

Notre esprit est le Bouddha ; ne le cherchez pas dehors, il est vous !

L’esprit primordialement pur et non né est depuis toujours présence spontanée!
Non fabriquée. Cette Présence spontanée n’est pas voilée.
Et pourtant si peu la voient… Etrange!

CHANT 2

Toutes les instructions du Dharma ne visent qu’à vous faire découvrir la nature de votre Esprit.
Si l’on tranche l’esprit discursif, la dualité du sujet et de l’objet, cette nature apparaît clairement.
Cette nature lumineuse n’est jamais voilée par les phénomènes
comme les nuages ne voilent pas le ciel quand on vole au-dessus.

Il faut quand même pratiquer avec assiduité pour atteindre l’état de Bouddha.
Mais ce n’est pas une question d’intelligence, car cet état,
on peut mieux dire « non-état » n’est pas du domaine intellectuel, ni du savoir.
Scrutez donc la nature de votre esprit!

CHANT 3

Si vous n’examinez pas la nature de votre esprit, vous ne le réaliserez pas.
Il est vacuité intangible. Cherchez le, vous ne le trouverez pas, ni dans le corps, ni dans le cerveau,
quand vous serez allé au bout de cette quête, vous pourrez dire :
il est inconnaissable, ineffable! et pourtant c’est lui qui voit et qui entend,
qui nous donne la conscience relative… c’est étonnant!
Il ne suffit pas de dire « l’esprit est vacuité »,
il faut se le démontrer pour soi-même!

CHANT 4

Vous avez à présent analysé, examiné l’esprit
sans trouver le moindre atome de substance
dont vous puissiez dire : C’est l’esprit!
Cet introuvable est la découverte suprême!

Tout d’abord, notre esprit ne surgit d’aucun lieu.
Il est vacuité depuis toujours
Il est dénué d’essence tangible.
Ensuite, il ne demeure en aucun lieu.
Il n’a ni forme ni couleur,
et enfin, il ne va nulle part
et se dissipe sans laisser de trace.
Le mouvement est vide,
sa vacuité se déploie en phénomènes.

Étant non né à l’origine, l’esprit est sans causes
et à la fin ne pourra pas disparaître par des causes extérieures à lui.
Il ne croît ni ne décroît.
Rien ne peut y être ajouté ou retranché,
Imprégnant à la fois Samsara et Nirvana
Il dépasse toute localisation.

L’esprit manifeste la totalité des phénomènes,
mais de lui on ne peut dire : « c’est cela! »
puisqu’il n’a pas d’existence substantielle,
Il est au-delà de l’être et du non-être,
Il ne va ni ne vient
Il est au-delà de la naissance et de la mort,
Il ne peut être purifié et souillé.

La nature de l’esprit est semblable à un cristal translucide et immaculé.
Sa nature est vacuité.
Son expression est luminosité,
Sa compassion est illimitée.
Sa nature demeure inaltérée.
Nulle souillure du Samsara ne l’entache.
Depuis toujours la nature de l’esprit est pur éveil.

Ce chant enseigne comment établir à jamais
L’esprit ordinaire en son état naturel.

CHANT 5

Voici comment Samantabhadra, le Corps Absolu, s’est libéré
sans méditer ne serait-ce qu’un seul instant ;
Comment les êtres des six mondes errent dans le samsara
sans jamais avoir commis le plus infime acte négatif.

Au début et avant toute chose, les termes de nirvana et samsara n’existaient pas.
Tout demeurait dans la base primordiale (Kunji).
A partir de cette base, la conscience éveillée (Rigpa)
S’est alors manifestée,
comme un cristal frappé par les rayons du soleil irradie sa propre lumière.

La sagesse de la conscience éveillée, mue par le souffle de vie,
rompit le sceau du Corps du Vase de Jouvence.
Alors la luminosité spontanément présente,
Champs purs des Corps et des sagesses,
Brilla comme le soleil levant dans le ciel.

A l’instant même ou Samantabhadra, le Corps Absolu,
reconnut qu’il s’agissait d’une manifestation de lui-même,
la luminosité extérieure, Corps et Sagesses,
se fondit dans la luminosité intérieure,
Et il atteignit la bouddhéité
dans la base primordialement pure.

En premier lieu, nous concevons le moi
et nous attachons à l’ego.
Puis nous concevons le mien
Et nous attachons au monde matériel.
Comme l’eau captive de la roue du moulin,
nous tournons en rond, impuissants.

CHANT 6

Ce qui est universellement reconnu comme étant l’esprit, existe-t-il ?
Il n’existe en aucune façon.
Que déploie-t-il?
Le Samsara et le nirvana, l’infinité des peines et des joies. (…)

Laissez votre esprit au repos, naturellement détendu.
Tel quel, l’esprit ordinaire est nu.
Si on l’observe, il est clarté vive et où il n’est rien à voir.
C’est la conscience éveillée, directe, alerte et lucide,
dénuée d’existence concrète, vide et limpide,
lucidité, luminosité et vacuité non duelles.

La présence éveillée n’est pas éternelle
puisqu’elle n’a pas d’existence tangible (dans l’espace-temps)
Elle est néant puisqu’elle est limpide et éveillée.
La présence éveillée n’est pas une unité insécable
puisqu’elle perçoit et connaît de multiples choses.
Cependant, elle n’est pas multiple
puisque ces choses se dissolvent dans la saveur unique.
Elle n’est pas ailleurs, puisqu’elle est votre propre conscience éveillée.

Vous pouvez percevoir le visage protecteur de la Source
qui se tient en votre coeur à l’instant même!
N’en soyez jamais séparés, enfants de mon coeur.
Quérir plus haute vérité
reviendrait à chercher ailleurs les empreintes d’un éléphant
qui serait passé juste devant chez vous!

Scruteriez-vous l’intégralité du triple monde
que vous ne trouveriez pas même le nom de Bouddha.

Ce chant a présenté le mode fondamental des choses
qui fait partie de la pratique principale.

CHANT 7

Écoutez attentivement, enfants de mon coeur :
La nature, l’expression, la compassion,
Les trois corps, les cinq Bouddhas, les cinq sagesses :
Tout est là, en cette conscience éveillée,
Née d’elle-même et lumineuse.
Pas la moindre couleur ni la moindre forme
Pour donner à la nature de la conscience éveillée un semblant d’existence.
Sa vacuité est le dharmakaya.
Sa luminosité, expression naturelle de la vacuité, est le sambhogakaya.
Tout ce qui s’élève sans entraves de sa base est le nirmanakaya.
Ces trois corps sont un, union de la luminosité et de la vacuité, (Rigpa)
Faites-en l’expérience avec l’esprit libre de saisie. (…)

La simplicité lumineuse : c’est cela même!
Comment prétendre que vous ne reconnaissez
la nature de votre esprit : l’éveillé même?
Il n’y a rien à méditer.
Alors pourquoi se lamenter : « je ne me suis pas entraîné »?

Cet esprit éveillé, clairement manifesté : c’est cela même!
Comment prétendre que vous ne le trouvez pas?
Cette clarté limpide, ininterrompue ; c’est cela même!
Comment prétendre que vous n’en voyez pas l’expression?
Recueilli en cet esprit, il n’y a pas la moindre chose à faire.
Comment prétendre ne pas y parvenir?

S’il n’y a plus de dualité entre repos et mouvement,
Comment prétendre ne pas pouvoir y demeurer?
En cet état éveillé, né de lui-même,
Les trois corps sont spontanément accomplis, sans effort,
Alors comment prétendre ne pas pouvoir les accomplir par la pratique?
Il suffit de se relâcher totalement en l’absence d’action.
Comment prétendre ne pas en être capable?

Les pensées s’élèvent et se libèrent simultanément.
comment prétendre que le remède vous échappe?
Cette conscience du moment présent : c’est cela même!
Comment prétendre ne pas pouvoir la reconnaître?

CHANT 8

Tel un ciel vide, l’esprit est insubstantiel.
Afin de savoir s’il en est ainsi ou non,
Vous tous , heureux enfants,
Regardez directement votre esprit
Comme s’il n’y avait rien à voir.
Lâchez prise et vous saurez !

Loin d’être un pur néant totalement vide,
Depuis toujours, la sagesse de votre propre conscience éveillée
Est dotée de la faculté de se connaître.
C’est certain.

Cette clarté naturelle jaillie d’elle-même
Est pareille au soleil.
Afin de savoir s’il en est ainsi ou non,
Regardez directement la nature de votre esprit,
Lâchez prise et vous saurez!

Il est impossible de saisir les pensées
Et les mouvements de l’esprit
C’est certain.

Ces mouvements imprévisibles
Sont semblables au vent dans le ciel.
Afin de savoir s’il en est ainsi ou non,
Regardez directement la nature de votre esprit,
Lâchez prise et vous saurez!

Il est sûr que tout ce qui apparaît,
Ce sont vos perceptions.
Les phénomènes sont semblables aux reflets dans un miroir.
Afin de savoir… id

Il n’est pas d’autres phénomènes
que ceux qui émanent de votre esprit.
Il n’y a donc pas d’autre vue à adopter.
Il n’y a pas d’autre enseignement.
Il n’y a pas d’autres phénomènes
Que ceux qui émanent de votre esprit.
Hormis cette méditation,
Il n’y a donc rien d’autre à méditer.
Il n’y a pas d’autre enseignement.

Il n’est pas d’autres phénomènes
Que eux qui émanent de votre esprit.
Il n’y a pas d’autre action.
Il n’y a pas d’autre enseignement.

Il n’y a pas d’autres phénomènes
Que ceux qui émanent de votre esprit.
Il n’y donc pas d’autres voeux à maintenir.

Il n’y a pas d’autre fruit à accomplir.

Projetez votre esprit dans l’immensité du ciel ;
Observez alors si quelque chose en l’esprit va et vient.
Si à ce moment-là, il n’y a aucun mouvement,
Alors tournez votre regard vers l’intérieur,
Et voyez s’il y a quelqu’un qui engendre les pensées.

S’il n’y a personne à l’origine des pensées,
Voyez si l’esprit possède une couleur, une forme.
Lorsque vous vous approchez de la vacuité
Dénuée de couleur et de forme,
Demandez-vous si elle a des confins et un centre.
Lorsque vous aurez reconnu qu’elle en est dépourvue,
Voyez si elle est à l’extérieur ou à l’intérieur de vous-mêmes.

La conscience éveillée, Rigpa, qui n’est ni à l’extérieur ni à l’intérieur
Est présence omnipénétrante,
Vaste comme l’espace, illimitée, indivisible.
En la vastitude de la conscience éveillée, omnisciente,
Les phénomènes du Samsara et du Nirvana
Sont pareils aux couleurs de l’arc-en-ciel.
L’infinie manifestation des phénomènes
N’est autre que la danse de votre esprit.

Depuis cet état de conscience immuable,
Observez encore.
Illusoire comme le reflet de la lune dans l’eau,
La séparation des phénomènes entre apparences et vacuité s’abolit.
En cet état de conscience éveillée,
Il n’est plus de dualité entre samsara et nirvana.

Depuis cet état de conscience immuable,
Observez encore.
Les phénomènes du samsara et du nirvana
Sont pareils aux reflets dans un miroir.
Les phénomènes, quelque forme qu’ils revêtent,
Sont depuis toujours dépourvus d’existence propre.
Les noms même de samsara et nirvana n’existent pas.
Tout est corps absolu.

Les êtres en errance dans les trois mondes du samsara
N’ont pas reconnu leur propre nature :
La sagesse en laquelle les phénomènes
Du samsara et du nirvana s’équivalent depuis toujours.

Sous l’empire aveugle de l’illusoire saisie dualiste,
Ils s’attachent à la séparation entre soi et autrui.
Ils s’enchaînent à l’irréelle dualité.
Ainsi demeurent-ils prisonniers.
En leur esprit où cependant samsara et du nirvana sont inséparables,
Sous la coupe de la discrimination, de préférence et du rejet,
Ils se perdent dans les cycles des existences.

Fous et mystifiés, les êtres négligent cette conscience éveillée
En laquelle s’accomplissent sans effort et spontanément les trois corps.
Ils gravissent les terres et les voies, en quête d’un lieu lointain
Où ils n’ont nulle chance de parvenir à la bouddhéité.

Toute apparence est manifestation de l’esprit.
C’est certain.
Depuis cet état de conscience immuable,
Observez encore !

Tel un reflet, tout ce qui apparaît semble exister :
Apparences vides!
Tout ce qui résonne :
Résonances vides!
Leur expression naturelle est vide depuis toujours.

De même, observez l’observateur : l’esprit lui-même.
Aussi vide que le ciel, les pensées s’évanouissent d’elles-mêmes,
Telle est la simplicité libre d’élaboration,
Indicible, inconcevable, inexprimable.

Tout ce qui apparaît est le jeu magique de l’esprit :
Déploiement illusoire, vide et sans fondement.

Si vous reconnaissez que tout est la manifestation de votre propre esprit,
Alors, tout ce qui s’y déploie est vide, Corps Absolu.
Ce ne sont pas les apparences qui vous lient,
C’est l’attachement aux apparences.

Enfants de mon coeur, pourfendez votre attachement aveugle!

CHANT 9

(…)
Si vous ne reconnaissez pas que l’esprit
Est la source de toutes les apparences,
Vous ne comprendrez jamais le sens de la vacuité.
Heureux enfants, examinez avec soin :
D’abord, d’où surgissent les apparences?
Ensuite, où demeurent-elles?
Et enfin où vont-elles?

A plus ample examen,
Les pensées apparaissent comme les brumes
Qui s’élèvent et se dissolvent dans le ciel.
Ainsi les apparences, fantasmagories de l’esprit,
S’élèvent et se dissolvent en votre propre esprit.

De même, lorsqu’une personne à la vue défectueuse
Regarde le ciel,
Toutes sortes d’illusions d’optique lui apparaissent
Bien qu’elles semblent exister dans le ciel.
Elles n’y sont pas présentes.
Seule la déficience des yeux les a déployées.

De même, sous l’emprise de la saisie, pernicieuse habitude
Alliée au pouvoir d’une faculté mentale erronée,
Formes et sons, tous phénomènes relatifs
Semblent dotés de réalité tangible.
Or, ils ne sont qu’illusions de votre esprit ensorcelé :
Rien n’a jamais possédé la moindre particule d’existence solide.

Ces sortilèges sont vides et sans fondement.
Dénués d’existence intrinsèque,
Ils apparaissent comme un mirage,
Ou le reflet de la lune dans l’eau.
Laissez votre esprit reposer dans la compréhension
De l’inséparabilité des apparences et de leur vacuité.

Dans votre sommeil, lors de vos rêves,
Votre pays, votre maison et vos parents
Vous apparaissent comme s’ils étaient réels.
Vous éprouvez alors joies et douleurs.
Même s’il n’est pas un seul de vos proches qui soit là,
Même si vous ne vous êtes pas éloigné du lit
Ne serait-ce que d’un pas,
La scène se manifeste distinctement
En tout point semblable à l’expérience diurne.

Ainsi, les circonstances de la vie
S’apparentent aux rêves de la nuit passée
L’esprit perçoit et connaît toutes choses
En fonction des noms qu’il leur attribue
Et des attachements qu’il forme.
Dans le sommeil, les rêves n’ont aucune réalité solide.
De même, le déploiement des apparences est vide d’existence propre.

CHANT 10

Résumé : les êtres voient entendent et goûtent les objets, les éléments suivant leur conditionnement : pour les uns, l’eau est du feu, pour l’autre source d’abondance, pour le troisième c’est de la terre. Ainsi pour tous les éléments, tous les êtres, les démons, les esprits, les nagas… Tout est le produit de notre esprit.

Tout est le déploiement spontané de l’esprit
Qui manifeste toutes choses selon son imaginaire habituel.
Ce déploiement est en essence vide.

Tout apparaît en fonction des concepts
Forgés par les élaborations mentales,
Quelles qu’elles soient.

Puisque les joies et les peines des êtres des six mondes
Sont créées par leur propre esprit,
Concluez de façon claire et définitive
Qu’il ne s’agit que du déploiement naturel de l’esprit,
A la fois vide d’existence propre et apparent.

Ainsi tous les phénomènes du samsara et nirvana
Sont l’expression spontanée de votre esprit.
Ces manifestations sont dénuées d’existence propre.
Accroissez votre confiance en ce continuum de vacuité
Et de luminosité, libre de toute saisie.

La nature de l’esprit est depuis toujours semblable au ciel :
Reconnaissez qu’il en est de même des phénomènes.
Ils sont visibles et audibles en mode conventionnel
Mais ils ne sont que la manifestation naturelle
De votre propre esprit.

Au moment de la mort, le continuum de l’esprit change,
Sans pour autant que le monde extérieur cesse ;
Les perceptions intérieures se modifient.

Tout est déploiement spontané de l’esprit,
Sans fondement, vide et non existant :
Simples apparitions de ce qui n’existent pas,
Comme des reflets de la lune dans l’eau.
Préservez cet état de sagesse, lumineux, vide et non duel.

Toutes les perceptions visuelles sont le déploiement spontané de l’esprit.
Ce qui apparaît comme inanimé, le monde en tant que contenant :
C’est l’esprit.
Ce qui apparaît sous la forme des êtres des six mondes, le contenu :
C’est l’esprit.
Ce qui apparaît comme le bonheur des dieux et des hommes de destinées supérieures :
C’est l’esprit.
Ce qui apparaît comme les souffrances des mondes inférieurs :
C’est l’esprit.
Ce qui apparaît comme ignorance et cinq poisons émotionnels :
C’est l’esprit.
Ce qui apparaît comme conscience éveillée, sagesse spontanée :
C’est l’esprit.
Ce qui apparaît comme pensées négatives et habitudes samsariques :
C’est l’esprit.
Ce qui apparaît comme pensées positives, Champs purs de Bouddha :
C’est l’esprit.
Ce qui apparaît comme obstacles provoqués par les démons et influences néfastes :
C’est l’esprit.
Ce qui apparaît comme bienfaits, déités et accomplissements :
C’est l’esprit.
Ce qui apparaît comme l’infinie diversité des pensées discursives :
C’est l’esprit.
Ce qui apparaît comme méditation focalisée en un point et absence de pensées :
C’est l’esprit.
Ce qui apparaît comme entités concrètes dotées de caractéristiques et de couleurs :
C’est l’esprit.
Ce qui apparaît comme libre de concepts et de caractéristiques :
C’est l’esprit.
Ce qui apparaît comme la non-dualité de l’un et du multiple :
C’est l’esprit.
Ce qui apparaît comme l’irréalité de l’existant et du non-existant :
C’est l’esprit.

Sans esprit, point d’apparences.
Il est donc crucial d’engendrer la ferme conviction
Que tout est le déploiement illusoire de l’esprit.

Tel est ce chant qui présente les pensées
Comme étant les manifestations de l’esprit.

CHANT 11

Heureux enfants, chers à mon coeur, une nouvelle fois, soyez attentifs!
Le Bouddha n’enseigna jamais
Que la nature de votre propre esprit
— le véritable maître d’oeuvre–
Possédât formes et couleurs tangibles.
L’esprit, de tout temps vide,
Insaisissable tel le ciel,
Est vacuité d’existence propre,
Certitude !
Cet esprit, vide et lumineux, a le pouvoir
De manifester une multitudes d’apparences.
Elles se déploient, reflet dans un miroir,
Sans qu’il y ait dualité :
Elles ne font qu’un avec l’état de vacuité.
Telle est la vacuité sous son aspect « d’apparence ».

Les apparences n’obstruent pas la vacuité :
Bien qu’elles se manifestent, de tout temps, elles sont vides.
Pour le yogi ayant réalisé la non-dualité des apparences et de la vacuité
–Arc-en-ciel dans l’azur, reflets de la lune dans l’eau–
Les phénomènes du samsara sont pareils aux illusions d’un magicien.
Face au spectacle de la non-dualité des apparences et de la vacuité,
L’esprit du yogi demeure immuable.
Chers enfants, n’en est-il pas ainsi?

Peut-on vraiment établir une distinction entre apparences et vacuité de l’esprit?
Observez-les et vous reconnaîtrez que depuis toujours
Apparences et vacuité sont au-delà de toute dualité.
Ainsi ne s’opposent-elles pas.

Cette sagesse née d’elle-même, spontanément lumineuse présence éveillée, nue,
Où s’abolit toute dualité entre apparence et vacuité
N’est autre que l’esprit
En lequel les trois corps sont d’eux-mêmes accomplis.

Enfants de mon coeur, pratiquez sans relâche, jour et nuit,
En maintenant cette reconnaissance jour et nuit.
Telle est la Non-Dualité, liberté naturelle.

CHANT 12

Emaho!
Si vous distinguez avec précision comment les trois Corps
Sont intégralement présents dans l’Eveil de la base
Ainsi que dans les manifestations issues de cette base,
Vous reconnaîtrez que le samsara et le nirvana
Sont le Champ Pur des Trois Corps.

Lorsque les apparences s’élèvent de la base,
Tels des rayons de cinq couleurs irradiant d’un cristal,
Qu’elles soient Champs purs de Bouddha
Ou souillures des univers et des êtres,
Leur nature est vacuité, dharmakaya
Leur expression naturelle, sambhogakaya,
Leur diversité sans limites, nirmanakaya,
Ainsi les trois Corps sont présents
A l’instant où les apparences surgissent de la base.

En outre, puisque les êtres des six mondes sont les trois Corps,
S’ils pouvaient reconnaître leur propre nature,
Tous atteindraient l’Eveil sans même devoir méditer!

En réalité, les trois Corps de la base sont le dharmakaya.
Ne les considérez pas comme étant distincts.

Ensuite, tout en demeurant dans l’espace du dharmakaya,
Le sambhogakaya et le nirmanakaya se manifestent tels des arcs-en-ciel,
Et agissent sans discontinuer pour les bien des êtres.

CHANT 12

Evoquez avec acuité le mal qu’autrefois certains vous ont infligé,
En d’innombrables circonstances et de multiples façons,
Evoquez les moment où ils vous ont blessée, battus, humiliés et tourmentés.
Laissez monter la colère.
Engendrée, observez directement sa nature et ce qui est en colère.
D’où a-t-elle surgi? Où se trouve-t-elle maintenant? Où a-t-elle disparu?
A-t-elle une forme une couleur?…
A l’instant même où vous l’observez,
La colère est vide et insaisissable.
Il ne s’agit pas de la rejeter, alors :
Elle est sagesse semblable au miroir!

Imaginez avec acuité un être d’une beauté fascinante,
De la viande ou d’autres mets que vous désirez manger,
Les vêtements que vous rêvez de porter,
Le bétail, les chevaux que vous convoitez.

Laissez monter le désir-attachement.
Engendré, observez directement sa nature
Et ce qui éprouve le désir.
D’où a-t-il surgi ; Où se trouve-t-il maintenant, Où a-t-il disparu?
A-t-il une forme une couleur etc…

A l’instant même où vous l’observez,
Le désir est primordialement vide et insaisissable.
Il ne s’agit donc pas de le rejeter :
Il est sagesse du discernement parfait !

De même pour l’ignorance, l’orgueil, la jalousie,
Tous ces états perturbateurs sont sagesses.
Vouloir rejeter les pensées afflictives
Pour chercher ailleurs la vacuité et la sagesse, quelle farce !
Une telle quête sera vaine. Quelle tristesse!

Une fois la vacuité des cinq poisons reconnue,
Quand s’élèveront de multiples pensées issues des cinq émotions,
En accord avec cette présentation de la nature de l’esprit,
Il s’avérera inutile de rechercher le lieu d’où elles surgissent,
Demeurent et disparaissent, pas plus que leur forme ou couleur.
La vacuité des cinq poisons désormais reconnue,
Sans plus suivre les pensées qui s’élèvent,
Détendez-vous dans l’état naturel de l’esprit.
Il ne fait aucun doute qu’elles se dissoudront d’elle-mêmes.

Ce chant est à la fois une présentation de la nature de l’esprit
Et une méthode d’entraînement.

Selon les enseignements et la vies des maîtres d’antan :
« Plus nombreux sont les états mentaux conflictuels,
Plus puissant est le dharmakaya! »
Sachez qu’il en est ainsi!

Lorsque chez le débutant, les pensées perturbatrices
S’élèvent avec violence, il convient d’abord de les analyser,
Puis de stabiliser l’esprit.
Tels sont les instructions orales.
Gardez-les en votre coeur!

Ce chant est la présentation de la libération spontanée des cinq poisons.

CHANT 14  (non sic, résumé)

Observez les plaisirs et les rejets des six canaux sensoriels :
Le toucher, la vue, le goût, l’olfaction, l’audition, le ressenti émotionnel.
Observez ces perceptions tantôt agréables, tantôt désagréables,
Quand votre esprit est fixé dessus, elles ne sont que vacuité.

Une fois reconnue la vacuité des six consciences sensorielles,
Lorsqu’une d’elles se manifeste, agréable ou désagréable,
Inutile dorénavant de l’analyser selon les instructions précédentes.
Les six consciences étant dénuées de fondement,
Primordialement libres et vides,
Au moment même où elles se manifestent, sans les suivre,
Laissez-les s’élever et demeurez en la nature de l’esprit.
Nul doute qu’alors, elles se dissipent d’elles-mêmes.

Tel est le chant qui enseigne la libération spontanée des six consciences.

CHANT 15

Cette fois encore, écoutez attentivement, nobles enfants!
Détendez votre esprit, laissez-le en son état naturel.
Observez : comment est l’esprit en cet état?
Quand vous regardez l’esprit au repos,
Demeurant dans la continuité de la conscience éveillée,
Calme et pourtant vide,
C’est l’état de la conscience éveillée.
Enfants fortunés de mon coeur, sachez-le!
Telle est la présentation de la quiétude, ornement de l’esprit.

Suscitez les pensées, puis observez-les:
Comment prolifèrent-elles?
Elles se multiplient et pourtant elles sont vides
Car elles ne sont pas séparées, ne serait-ce que d’un fil,
De la présence éveillée vide et lumineuse (Rigpa).
C’est l’état de la présence éveillée.
Telle est la présentation de l’aspect mouvant des pensées,
Déploiement de l’esprit.

De même que les vagues, fortes lames ou douce houle,
S’élèvent de l’océan sans jamais s’en différencier,
Ne serait-ce que d’une once,
De même, au repos ou en mouvement,
L’esprit n’est jamais séparé de la conscience éveillée-vacuité,
Ne serait-ce que d’une once.
Bref, que l’esprit soit au repos ou en mouvement,
Il s’agit toujours de la présence éveillée (Rigpa).
Détendez-vous.

Penser qu’il y a méditation lorsque l’esprit est au repos,
Estimer qu’il n’y a pas méditation lorsqu’il est en mouvement,
C’est ignorer la nature du repos et du mouvement ;
Preuve que l’on a pas mêlé calme, mouvement et présence éveillée :
Ces trois états ne font qu’un.

Excellents et fortunée enfant de mon coeur,
Que l’esprit soit calme ou en mouvement,
Il s’agit toujours de l’état naturel de la présence éveillée.
Après avoir intégré cet enseignement au tréfonds de vous-mêmes,
Pratiquez l’union du calme, du mouvement et de la présence éveillée :
Ces trois états ne font qu’un.

Telle est la présentation de la non-dualité du calme, du mouvement et de Rigpa.

CHANT 16

Emaho!
Enfants dotés de mérites, si chers à mon coeur,
Ecoutez d’une oreille attentive, sans distraction.
Moi, Tsogdrouk Rangdreul, le barde-yogi,
Sur la cime enneigée de votre coeur,
Je dépose ce chant mélodieux.

Une fois reconnu que tous les phénomènes
Ont un goût unique au sein de la vacuité,
La saisie illusoire entre amis, ennemis s’effondre.
Le concept de dualité entre moi et autrui n’est plus.
telle est la quintessence des exégèses.

Selon le Dzogchen, Grande perfection, cime de tous les véhicules,
Samsara et nivrana n’ont ni base ni racine.
Etant l’état d’éveil primordial, le corps absolu (Dharmakaya)
Ils ont un goût unique.

En état naturel du Dzogchen, il n’est ni dieu ni démon,
En la sphère de cette Grande Perfection, il n’est ni Bouddha, ni être sensible.
Dans la base de la Grande Perfection, il n’est ni bien ni mal.
Sur la voie de la Grande Perfection, il n’est ni proximité ni éloignement:
Nul ne s’en approche ou ne s’en éloigne.

Selon le fruit de la Grande Perfection/ Dzogchen,
Il n’est ni atteinte, ni non-atteinte.
Selon les enseignements de la Grande Perfection,
Il n’est ni action, ni non-action.
Selon le sens de la Grande Perfection,
Il n’est ni méditation, ni non-méditation.
Demeurez dans la vue royale de la Grande Perfection.

A l’instant où vous réalisez la vue de la Grande Perfection,
Perceptions grossières et subtiles des trois portes sont pacifiées.
Telle la souplesse de la laine humidifiée,
Les trois portes demeurent en l’état calme, détendu.
S’élève alors le samadhi de la félicité, de la luminosité, de l’absence de pensées.
S’élève alors une compassion spontanée,
Pareille à l’amour d’une mère pour son enfant,
Envers tous les êtres qui, en errance dans le samsara,
N’ont point compris la vue.
Telles sont les qualités propres à la vue de la Grande Perfection.
Sachez-le !

Avoir reconnu avec certitude la vacuité de toutes choses,
Si vous abandonnez la vertu pour vous adonner au mal,
Il s’agit là du démon de la noire prolifération.
Il est essentiel de ne pas tomber sous l’emprise de cette funeste conception.

Telles sont les instructions de la Grande Perfection :
Elles sont d’une importance cruciale.
Si vous n’avez pas reconnu qu’apparences, sons
Et phénomènes relatifs du monde extérieur sont vacuité,
Même si vous estimez méditer la vue:
Alors, que méditez-vous?

Au début, procédez ainsi :
Tantôt, observez votre esprit en invoquant le maître,
Tantôt, observez attentivement votre esprit
Tout en alternant détente et concentration.
A méditer ainsi, l’esprit s’emplira de joie,
Tout sera resplendissement, vacuité!

Vous aurez l’impression de ne pouvoir saisir les objets
Même en les touchant de la main.
Alors naîtra la ferme conviction :
« Aucun doute, c’est la vue! »
C’est la moment où vous aurez acquis la ferme certitude en la vue.
Ne l’alterez pas par la saisie.
Détendez-vous dans l’état libre de fixation.

Même si vous ne pratiquez pas,
Si vous avez mûri la graine de l’essence de cette instruction,
Quelles que soient les peurs qui surgissent lors de la mort et du bardo,
vous les reconnaîtrez comme étant les propres créations de votre esprit,
Les formes naturelles de la vacuité.
Vous atteindrez alors l’éveil dans la base de la pureté primordiale.

Pratiquer sans avoir mûri la graine de l’essence de cette instruction
Reviendrait à commettre une erreur le premier jour
Et à persister jusqu’au quinzième.
Si vous n’avez pas reconnu l’absence d’existence propre des phénomènes relatifs,
Quel mensonge éhonté que de proclamer :  » j’ai compris la vacuité! »

Selon cette présentation de la nature de l’esprit:
Au début demeurez en la présence du maître
Puis établissez-vous en l’état naturel de l’esprit.
Ainsi n’y aura-t-il pas d’erreurs.

Heureux enfant, gravez cette instruction en votre coeur!

CHANT 17

Emaho!
Enfants de l’heureuse lignée, écoutez à nouveau!
Une fois intégré l’état naturel de la vue,
Tranchez totalement les liens de l’attachement et de l’aversion
Pour les proches et le pays natal.
Solitaires, au plus profond des forêts et des vallées de montagne,
Abandonnez tout effort physique et demeurez dans l’état naturel.
Ne proférez aucune parole, faites silence.

Détendez votre esprit en l’état naturel,
Exempt de cogitations, pareil au ciel,
Libre d’attirance et de rejet.
La vue :  l’esprit dénué d’objectif.
Demeurez dans l’état naturel sans méditation.
Atteignez le fruit de la Grande Perfection
Exempt de toute attente.

Ne vous prenez pas à l’écheveau des pensées :
« Je suis dans l’état de conscience éveillée ;
Je suis sous l’emprise de la torpeur,
Je suis emporté par l’agitation. »
Détendez-vous dans la vastitude : liberté sans pensées,
Conscience éveillée sans points de référence,
Espace de clarté inaltérée.

Par l’intellect, vous ne comprendrez pas la vérité
Qui est au-delà des concepts.
Par l’action, vous ne parviendrez pas au niveau de la non-action.
Si vous aspirez à la vérité au-delà de l’intellect et de l’action,
Demeurez dans la nudité de la conscience éveillée
Où il n’y a rien à modifier, rien à corriger.

La vue suprême est au-delà de toute saisie dualiste.
La méditation suprême est au-delà de l’attirance et du rejet.
La conduite suprême est au-delà de l’effort.
Le fruit suprême consiste à demeurer en l’état naturel,
Libre de tout espoir.

Observer l’esprit ne permet pas d’accéder à la vue:
Cessez donc d’être aux aguets.
Méditer ne permet pas de découvrir la vue :
Abandonnez l’attention focalisée et l’objet de concentration.
Agir ne permet pas d’accomplir la vue :
Cessez donc de vous accrocher aux illusions.
L’effort ne débouche pas sur la vue :
Renoncez à tout espoir de fruit.
Que les vues sectaires et la dualité
N’altèrent pas la sagesse de la vue, incréée, alerte.

La conscience éveillée de l’instant présent,
Insubstantielle et lumineuse est la vue suprême.
L’absence de référence et la cessation du labeur conceptuel
Sont la méditation suprême.
S’établir dans la simplicité, libre de concepts et de saisie
Est l’action suprême.
L’accomplissement primordial, spontané, sans effort,
Est le fruit suprême.

Contemplez l’essence de la vue,
Vacuité lumineuse, exempte de dualité.
Maintenez l’essence de la méditation,
Liberté naturelle dénuée de saisie.
Dans l’essence de l’action,
Laissez reposer les six consciences en leur état naturel.
La disparition de l’espoir et de la peur
Est l’expression du fruit.

Se libérer des extrêmes
Est la souveraine vue suprême.
Se libérer des concepts est la souveraine méditation suprême.
Se libérer de l’attirance et du rejet
Est la souveraine action suprême.
Se libérer de l’espoir et de la peur
Est le souverain fruit suprême.

Il n’y a rien à voir :
Abandonnez toute notion de vue.
Il n’y a rien à méditer :
Laissez tel quel se qui s’élève.
Il n’y a rien à faire :
Cessez toute discrimination.
Il n’y a rien à atteindre:
Renoncez à tout espoir de fruit.

Ce qui est, est.
Nul besoin d’une quelconque saisie.
Il n’y a pas lieu de s’exclamer : « c’est ça! »
Nul besoin d’affirmer ni de refuter.
En l’absence de référence,
N’établissez pas de préférences.

Rien à voir :
Primordialement pure et lumineuse, la conscience éveillée
Transcende à la fois l’imaginaire et l’intellect.
Rien à méditer :
La nature de la conscience éveillée est sans fondement.
Rien à faire :
La liberté naturelle est illimitée.
Nul fruit à atteindre :
La conscience éveillée transcende l’attachement à l’effort et à la pratique.

La nature de la conscience éveillée est vacuité :
Il n’y a donc rien à rejeter ni à atteindre.
Son expression est luminosité-vacuité :
Ainsi s’abolissent l’effort et la pratique.
Tout est liberté :
Il n’y a donc nulle polarité.
Quoi qu’il advienne, ne vous attachez pas!

L’esprit éveillé du yogi est semblable
Au vol de l’oiseau dans le ciel :
L’oiseau, une fois passé, ne laisse aucune trace.
Il n’y a plus rien à voir.
De même, les pensées passées s’étant évanouies,
Il n’y a plus rien à voir.
Ne les poursuivez pas, ne les entretenez pas.

Le futur sillage n’est pas tracé, rien n’est encore visible :
N’invitez pas les pensées à venir.
Le sillage de l’oiseau n’a ni forme ni couleur :
Ne qualifiez pas les pensées du présent,
Ne les altérez pas avec des antidotes,
Laissez-les telles qu’elles se présentent.

Ainsi, quoi qu’il s’élève, ne vous en saisissez pas.
Telle est l’instruction essentielle et ultime.
Ainsi, quoi qu’il s’élève, ne vous y attachez pas.
Les afflictions mentales qui se dissolvent d’elles-mêmes
Sont la grande sagesse.

La vue est non-née, au-delà des concepts, liberté primordiale.
Persévérez et comprenez qu’il n’y a rien à voir.
La méditation est l’état naturel, détendu, établi en lui-même.
Persévérez et comprenez qu’il n’y a rien sur quoi méditer.
L’action est illusoire, non duelle, libre de l’attirance et du rejet.
Persévérez et comprenez qu’il n’y a pas d’action à mener.
La nature du fruit est non duelle, libre d’espoir et de peur.
Persévérez et comprenez qu’il n’y a pas de fruit à atteindre.

Par-delà les trois temps, la nature de l’esprit est sans racine.
Elle apparaît avec clarté sans avoir été cultivée.
Félicité!

Au début comme à la fin, la réalité est naturellement pure.
Sans effort ni persévérance,
Elle est liberté primordiale, libération totale.
Merveille !

La conscience ordinaire, non fabriquée, aise naturelle,
Est l’esprit omniscient du Bouddha, vaste, illimité.
La diligence, l’analyse et la méditation
Ne vous permettront pas de voir
L’authentique et immuable nature de l’esprit.

Au sein de la réalité absolue, l’esprit ordinaire ne pense n’y n’analyse.
Il n’est ni méditation ni absence de méditation,
Ni distraction ni absence de distraction.
Nombreux furent les êtres ainsi libérés en l’aise naturelle.

Au niveau ultime, la libération et l’absence de libération
Transcende toute dualité.
Lorsque vous reconnaissez cet état naturel,
L’esprit, sans effort, n’est plus que félicité.

Si vous vous laissez piéger par l’esprit qui,
A toute force, aspire à l’absence de pensées,
S’élèveront alors des concepts qui,
Dans les dix directions, violemment vous projetteront.

Si vous demeurez dans l’état libre, ouvert, en l’aise naturelle
Au sein de la nature ultime de la conscience claire et éveillée,
Libre de mouvement.
Vous parviendrez à une stabilité de l’esprit
Aussi inébranlable qu’une montagne.
Comprenez, mes enfants, ce conseil paradoxal.

Même si l’on ne décèle pas la plus infime particule sur quoi méditer,
Il est crucial de maintenir la pleine conscience inaltérable.

CHANT 18